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L'Entrée en Sectes..un déplacement des dépendances (Jacques Salomé - Psychosociologue)

Une des constantes que nous retrouvons à la base de toutes les sectes,
c'est la mise en dépendance de ceux qui vont y adhérer.
Mise en dépendance émotionnelle,
affective et souvent financière.

Au travers du phénomène des sectes, nous avons à nous interroger, non seulement sur les enjeux cachés de l'éducation que nous proposons à nos enfants, mais aussi sur les carences du système familial et scolaire, qui maintiennent vivaces les besoins de dépendance et d'attachement. Ainsi, nous invitons ceux qui sont sûrs de n'appartenir à aucune secte à se demander à quelles dépendances émotionnelles, affectives ou financières ils sont encore liés. Ceux qui ont vécu un engagement dans une secte et qui en sont sortis témoignent le plus souvent de cette dépendance acceptée, puis subie, qui se traduisait par une mise en sommeil des états de conscience critique, une anesthésie du lien social, au profit d'un engagement focalisé sur un petit groupe ou sur une personne. Un dévouement cristallisé autour de quelques points de fixation verrouillés à d'autres influences.

Nous savons que les sectes s'avancent à la fois de façon masquée et aussi de façon plus manifeste quand l'occasion leur est donnée de jouer sur le syndrome de persécution, dont elles revendiquent l'apanage. La partie manifeste d'une secte ne cache pas seulement la partie masquée, elle est en quelque sorte l'aspect justificatif, “le sourire de l'évidence”, pour reprendre les termes d'un témoignage.

La dimension religieuse, si elle est souvent avancée auprès des pouvoirs publics tel un paravent commode, vise, de l'intérieur, à donner aux adhérents le sentiment d'une appartenance à un tout. Pour justifier, peut-être, certaines pratiques et exercices qui entraînent des traitements douteux, déstabilisants, des pratiques relationnelles et sexuelles atypiques. Les critères retenus par les Renseignements Généraux, pour qualifier un mouvement ou une organisation de secte, méritent d'être retenus et complétés, car ils s'appuient sur des constats vérifiables dans le temps d'une observation concrète.

1. La déstabilisation mentale, avec remise en cause des valeurs culturelles, familiales d'origine. Les interrogations sur le bien-fondé des valeurs ou des modes de vie actuels ouvrent sur l'espérance et des propositions pour une vie future plus idyllique.

2. La rupture induite avec l'environnement proche. Le rejet et la disqualification des relations qui étaient jusqu'alors recherchées, ce qui a pour but d'entraîner un isolement affectif et relationnel.

3. Atteintes à l'intégrité morale, psychique et physique. Par des exercices et des conditionnements présentés sous des formes subtiles, pas toujours repérables (rythmes du sommeil, nourriture, abstinence physique, ou au contraire, collusion, amalgame entre le sensuel, le sexuel… et le mythologique).

4. Discours, non seulement critiques, mais hostiles aux grands corps sociaux : Santé, Justice, Éducation , Économie. Avec une mise en cause facile des résultats et des conséquences parfois aberrantes qui en découlent pour le citoyen de base.

5. Détournement des circuits économiques traditionnels. Proposition et gestion en autarcie ou en circuits fermés. Don du temps, du travail, d'argent, mise à disposition des influences personnelles…

6. Conflits et démêlés judiciaires fréquents. Ils sont l'aboutissement d'une séquence, pas toujours bien éclairée, au moment de la naissance ou de l'implantation d'une secte. Ces conflits succèdent à des phases de séduction trop souvent efficaces, dans un premier temps, auprès des autorités locales, régionales, par l'apport de ressources nouvelles, et ensuite par l'abus ou la transgression de règles de droit public.

7. Conditionnement mental et physique, embrigadement des enfants. Ceux-ci sont considérés comme porteurs de l'espoir d'une mutation, d'une transformation ou d'une restauration des carences des adultes. Ils seront d'une certaine façon des otages auprès des parents engagés dans une secte.

8. Tentative d'infiltration des pouvoirs publics. Ce dernier critère ne semble valable que pour certains groupes aux ambitions planétaires et tentaculaires. Beaucoup de sectes tentent, au contraire, en se fondant dans le paysage urbain on plus isolé de certaines régions, de se faire oublier, de garder une autonomie d'action interne, hors des regards et des contrôles éventuels.

Il est important de se rappeler, pour éviter toute projection paranoïde et persécutoire sur ces groupes occultes et pour se garder à son tour de tentations trop sectaires, que les frontières sont labiles entre un engagement qui peut être passionné, corps et âmes, et le fanatisme ou la dépendance à un gourou. Il ne faut pas confondre la recherche d'autres alternatives de vie, les interrogations et les refus de certaines valeurs mercantiles, agressantes ou polluantes de la société actuelle, avec l'envoûtement social organisé et structuré par certaines sectes.

En pays de Droit, il y a le possible, pour chacun, d'une appartenance engagée dans des groupes de réflexion et de recherche, l'adhésion à des réseaux alternatifs, dans une vie associative consacrée à l'action dans tel ou tel domaine social, sans la dérive vers une allégeance inconditionnelle, sans les dérapages vers une dépendance, qui seront aux antipodes des objectifs premiers.

Quand nous analysons quelques-unes de ces contradictions, il nous paraît évident que nous devons nous interroger plus profondément sur les enjeux de l'éducation que nous proposons à nos enfants. Le phénomène, massif et plus répandu qu'on ne le croit, qui pousse des adultes de toutes conditions sociales vers les sectes, invite à une interrogation vitale sur les impasses et les contradictions de l'éducation actuelle. Tentons de rappeler quelques-unes des prémisses à toute éducation et à l'entrée dans la vie.

Éduquer, c'est avant tout élever (fonction d'élevage) un enfant pour lui permettre de grandir et d'accéder à une autonomie suffisante, qui lui sera nécessaire pour quitter sa famille d'origine (fonction de socialisation) et de construire sa propre sphère personnelle, sociale et familiale (fonctions de responsabilisation et d'engagement).

La première fonction (élevage) va être exercée dans les premières années de la vie au travers de soins appropriés et ajustés aux besoins fondamentaux de l'enfant.

La deuxième fonction (socialisation) va se développer au travers d'une alternance de gratifications, d'autorisations et de frustrations, de contraintes et de limites imposées, pour ne pas laisser croire à l'enfant que ses désirs seront toujours comblés. Cela, en particulier, pour lui permettre de ne pas rester prisonnier de l'ITPI (Illusion de la Toute-Puissance Infantile), fortement inscrite en chacun. C'est l'ITPI qui donne, dans les premiers temps de la vie, à chaque bébé, le sentiment que le monde entier tourne autour de sa personne, comme une immense réserve inépuisable de réponses à ses attentes.

Les parents ou les personnes significatives qui participent à la vie d'un enfant devront accepter d'entendre (et de mettre en pratique) deux règles de vie fondamentales :

- Qu'ils sont là, dans un premier temps, pour répondre aux besoins d'un enfant et, ensuite, qu'ils auront à contribuer à développer en lui des ressources suffisantes pour qu'il puisse y répondre lui-même (accès à l'autonomie).

- Que ces mêmes adultes ne sont pas là pour répondre à ses désirs et satisfaire chacune de ses attentes ou demandes, mais pour lui permettre de les reconnaître, de les identifier, de le confronter avec la réalité environnante, pour accéder soit à une réalisation (engagement et action), soit à une mise en question (accès à la socialisation) ou à une sublimation (accès à la créativité).

Nous avons dressé, en quelques mots, le tableau de base idyllique des possibles d'une éducation responsable. Dans beaucoup d'histoires de vie, cela ne se passe pas comme ça, et je crois que nous avons là une des clés du malentendu de base qui s'est développé ces dernières décennies entre enfants et adultes. Les enfants des deux dernières générations sont en quelque sorte des enfants du désir et, paradoxalement, les parents, les adultes ont répondu trop souvent et trop vite aux désirs de leur progéniture. Une partie de l'éducation contemporaine est en faillite sur ce plan, car elle a créé ainsi toutes les conditions d'une mise en dépendance… pernicieuse et durable. Cela en développant une dépendance aux réponses d'un environnement familial, scolaire, social proche, qui se devait d'être toujours positif, gratifiant, mais qui entretient ainsi infantilisation et insatisfaction grandissantes. Se sont développées en quelques décennies une culture du manque et l'illusion, par une fuite en avant sans fin, que des personnes, des objets ou des biens de consommation pourraient combler toutes leurs attentes.

Les sectes nous semblent être, paradoxalement, à la fois une tentative pour échapper à cette dépendance familiale, à l'assistanat social, économique, aux comportements de consommateurs, d'acheteurs tous azimuts et une récupération extrêmement habile, à leur propre profit, de cette dynamique. Le phénomène des sectes, comme la dérive vers des attitudes telles que la prise de drogues, nous paraît être en ce sens un déplacement de dépendances inconsciemment entretenues par certains systèmes familiaux ou par des conduites irresponsables face aux besoins véritables d'un enfant, d'un futur adulte.

Au-delà des prises de conscience et de positionnements de vie plus ferme, quand les adultes peuvent se situer plus clairement autour des quatre grandes fonctions parentales fondamentales : papa/maman, visant à la gratification, et père/mère, visant à des frustrations et à des contraintes pour la rencontre avec la réalité, ils nous semblent pouvoir apporter des réponses positives en amont du problème des sectes, et non en aval, comme les solutions actuelles sont le plus souvent recherchées. Il me paraît important de rappeler qu'il n'y a pas d'autonomie affective et sociale sans le passage du manque au besoin.

Quand un enfant ou un adulte développe une dynamique du manque, il développe en parallèle des conduites de dépendance, voire d'aliénation, à une réponse hors de lui. Quand un ex-enfant peut se reconnaître comme porteur de besoins, il commence à développer une dynamique de positionnement, d'affirmation pour agrandir ses ressources, pour mieux orienter sa recherche personnelle, pour trouver des moyens d'accéder à des satisfactions qui dépendront non d'autrui mais de son propre engagement, de sa ténacité et de son action. La lutte la plus efficace contre la dépendance aux sectes pourrait consister en une plus grande vigilance pour ne plus entretenir dépendance familiale et assistanat social ou économique.

Sectes..Pour Sortir du désert (Jacques Salomé - Psychosociologue)

Je crois important et vital le mouvement de plus en plus actif qui s'oppose aux sectes, à leur influence souvent négative et à leur développement. Mais s'il paraît essentiel de s'inquiéter à propos des dangers et des ravages qu'elles occasionnent chez les jeunes et les moins jeunes, sur les adolescents et les adultes, il me paraît tout aussi nécessaire de s'interroger, en même temps, sur les raisons de leur succès, de leur progression même.

Oui, s'interroger en particulier, parce que c'est mon métier de formateur, sur les enjeux émotionnels, relationnels et économiques qui sont à l'œuvre au travers de l'impact des quelque trois cents sectes petites ou grandes, connues ou plus secrètes qui pullulent actuellement en France. Autrement dit, au-delà de la dénonciation, proposer une prévention. Une prévention qui débouche, au-delà d'une interrogation ou d'un anathème, sur des actions concrètes.

En rappelant tout d'abord que le Sahel relationnel ne se trouve pas au Sahara, mais chez nous en Occident. Que la désertification, l'appauvrissement des relations parents-enfants, adultes-jeunes sont en pleine expansion dans les pays dits développés mais en crise relationnelle profonde, comme le nôtre.

Depuis quelques années nous paraissons obnubilés par les ravages et les angoisses suscités par le marasme économique, en oubliant trop vite parfois que nous sommes dans une crise relationnelle grave au niveau de la communication intime : couple et famille, école et travail, loisirs et sports, santé et soins. Dans tous ces secteurs où devrait circuler la sève vivante de l'existence au quotidien, il y a des manques, des impasses, des blessures qui s'accumulent et s'enkystent durablement.

Nous en payons un prix trop élevé avec une recrudescence de la violence sur autrui dans la rue, dans les quartiers, dans les lieux de rencontre, qui ne sont plus des lieux de convivialité.

Violence sur soi : drogues, suicides, passages à l'acte somatiques, insécurité et dépendances diverses qui font de nos enfants des êtres à la dérive, en recherche de modèles, de valeurs, d'engagements.

Nous savons qu'il y a chez les enfants, chez les jeunes et chez les adultes, un triple besoin qui n'est pas comblé par le fonctionnement actuel des structures familiales, scolaires et sociales proches. Ces besoins ont traversé toutes les époques, ils sont constants, vivaces et, comme tout besoin, ils demandent à être reconnus, entendus, et quelquefois comblés. Quels sont-ils ces besoins vitaux communs à chaque être humain ?

Le besoin de se dire, avec des mots à soi, avec une parole personnelle, même si elle est parfois maladroite. Besoin, non seulement de s'exprimer, mais aussi de communiquer, de se prolonger, d'être relié ; le besoin d'être entendu, par un entourage sensible, tolérant, ferme et proche ; le besoin d'être entendu avec ses tâtonnements, ses interrogations, ses doutes ou ses certitudes et ses croyances, ses différences et son altérité, son unicité ; le besoin d'être reconnu, « tel que je suis et non tel qu'on voudrait que je sois, avec mes valeurs, mes contradictions, avec mes excès aussi ».

SAVOIR ÊTRE ET SAVOIR DEVENIR

Ce besoin de reconnaissance fonde l'existence de chacun dans sa famille, dans son quartier, dans son travail, dans toutes les relations privilégiées et significatives qui structurent sa vie d'enfant ou d'adulte. Or le monde d'aujourd'hui semble laisser peu de place à l'expression de chacun de ces trois besoins fondamentaux.

Et si paradoxal que cela puisse paraître, les dirigeants des sectes ont compris ce manque, cette vacuité. Ils ont bien senti à la fois cette pauvreté et cette avidité, chez tout être humain, d'une relation personnalisée. Et dans un premier temps, très habilement, très subtilement dans la plupart des cas, car ils ont, semble-t-il, reçu une formation « adéquate » en ce sens, ils se donnent les moyens, tout au moins dans une première approche, de répondre à ces besoins.

Les témoignages des “ex-sectarisés”, de ceux qui, après beaucoup d'efforts et de souffrances, se libèrent de leur engagement envers un groupe, une secte ou un gourou ; de tous ceux qui émergent après de longs mois, des années, d'une dépendance insupportable ; tous ces témoignages concordent. Ils reflètent le même étonnement.

« Pour la première fois dans ma vie, il y avait quelqu'un qui m'écoutait, sans me juger… », « Je me suis senti reconnu, valorisé… », « Des étrangers me faisaient confiance… là où ma famille souvent me rejetait. » « J'avais, devant moi, quelqu'un qui prenait du temps, qui me comprenait, qui disait ce que je ressentais… » Ces témoignages disent combien ces adeptes se sont sentis entendus, reconnus et acceptés inconditionnellement… dans un premier temps. Bien sûr, par la suite, cette rencontre “idéalisée” se pervertit en une relation de dépendance, d'aliénation mentale, dans le sens d'un “décervelage” pour aboutir à une marginalisation sociale.

Engagement total de sa vie, de son temps, de ses ressources, assujettissement à diverses tâches non rémunérées, prosélytisme aigu, travail de recrutement et de démarchage pour augmenter et agrandir de la secte ; au profit, le plus souvent, de ses dirigeants ou de ses membres influents. Le système fonctionne parfaitement car il est bien huilé et rôdé. Son efficacité est à la mesure du désarroi et des attentes chez ceux qui se sentent non seulement incompris mais enfermés dans un cycle de « paupérisation relationnelle ». Car il y a de plus en plus de prolétaires de la communication, de sous-alimentés de la relation dans cet univers en souffrance.

Nous sommes censés être en cette fin du XXe siècle dans une ère de la communication. Mais ne confondons pas communication de consommation, qui consiste, comme on le voit aujourd'hui, à nous saturer d'informations, et communication relationnelle, qui nous grandit, nous relie, nous prolonge et nous confirme comme être humain.

Ma réponse, même si elle peut paraître simple et peut-être naïve, ce serait qu'on puisse un jour enseigner la communication et les relations au quotidien, dans chaque école ; au même titre que le calcul, l'histoire, la géographie, la biologie. Oui, enseigner la communication comme une matière à part entière, dès la maternelle et dans tout le cursus scolaire.

Dans un proche avenir les enseignants devront devenir nécessairement des « enseignants relationnels ». Car leur fonction actuelle de transmetteurs de savoir et de savoir-faire risque de devenir caduque. Aujourd'hui n'importe quel enfant sur un écran d'ordinateur a accès à tout le savoir du monde en cent quarante langues s'il les possède. Le rôle des enseignants sera de relier chacun de ces enfants à ce savoir, de l'inviter à l'intégrer et de l'inscrire au quotidien. Savoir être et savoir devenir, voilà les grandes matières nouvelles de l'enseignement à venir.

Pour donner ainsi à chaque enfant à chaque futur adulte, les moyens concrets de se dire et d'être entendu, de mettre en commun. Car c'est cela le sens originel du mot communiquer : mettre en commun, des possibles et des différences. Au-delà du partage, pouvoir s'engager dans un cheminement de croissance, de créativité et de mise en œuvre de nos ressources avec l'aide d'un entourage proche ouvert à la communication relationnelle. Pour offrir, à chaque homme et à chaque femme, plus de liberté pour s'affirmer, pour se positionner, et plus de ressources pour se définir face aux autres, face à la société, face aux événements imprévisibles de la vie. Pour être moins soumis, moins dépendant et influençable, moins « mouton » aussi et plus responsable de sa propre existence.

Il appartient à chacun, quels que soient son âge et sa fonction dans la société, de tenter de sortir du double piège, le plus fréquemment pratiqué: l'accusation de l'autre (« il ne comprend rien », « il a toujours raison », « on peut pas discuter avec lui… ») ou des autres en général, de la société vécue comme une entité mauvaise ou du monde entier… qui ne semble plus tourner rond, et l'auto-accusation ou disqualification de soi-même : « moi j'ai pas eu de chance », « mes parents ont divorcé », « j'ai pas fait d'études… ». Ni accusation ni auto-accusation, mais responsalilisation. Responsabilisation de chacun pour retrouver plus de convivialité, plus d'espérance et de mieux-être avec soi et avec autrui.