Le syndrome de Médée, parcours sadique de la perte d’amour (Antonio Andreoli) - Le Chemin d' Elisabeth

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Le syndrome de Médée, parcours sadique de la perte d’amour (Antonio Andreoli)

Résumé

Le syndrome de Médée est une modalité de harcèlement mise en œuvre par un parent voulant priver son conjoint de la relation avec ses enfants et apparaissant à l’occasion d’une rupture conjugale. Ce concept ajoute des dimensions psychopathologiques importantes à la notion de syndrome d’aliénation parentale : utilisation de l’enfant pour se venger, deuil sadique d’amour, retour de rites sacrificiels chez des sujets avec trouble de la personnalité confrontés à des relations d’amour dramatiques. Les aspects cliniques et légaux du syndrome sont analysés dans le but de fournir des clés valables de décision médicale. Le syndrome de Médée est une réaction destructive très grave avec impact négatif majeur sur les enfants et les adultes. Une nouvelle législation est nécessaire afin de décourager ce comportement et de mieux protéger les victimes.

Introduction

Je me propose de discuter le concept de syndrome de Médée et d’explorer, par son entremise, la psychopathologie des conduites de harcèlement qui sont mises en œuvre par des parents cherchant à priver leur conjoint de son/ses enfants. Les praticiens doivent connaître ce tableau en raison de son relief clinique et juridique grandissant en médecine de premier recours.1 L’augmentation significative des séparations conflictuelles favorise, dans un contexte social et culturel éclaté, l’enlisement des situations de divorce litigieux dans des impasses dramatiques dont les enfants deviennent les otages infortunés. Un médecin averti de l’existence de ce tableau pourra prescrire des mesures valables de prévention et traitement que nous allons détailler. La connaissance des facteurs psychologiques et culturels œuvrant dans ce syndrome l’aidera à mieux comprendre la souffrance traumatique du parent privé de sa progéniture et l’arrière-pays d’un comportement se fixant l’objectif de réduire son propre fils à la condition d’objet de vengeance. Ces deux dimensions sont les grandes oubliées des actuelles classifications. Le syndrome de Médée a l’avantage de contraster cette approche en mettant l’accent sur les complications tragiques de la vie amoureuse, une vision chère au regard psychodynamique sur les crises de vie. Loin de nous l’intention de nous servir de Médée pour blâmer la femme (le syndrome est très majoritairement féminin) ou mettre en cause ses droits. Un malaise étrange semble cependant faire obstacle, dans notre culture, à la reconnaissance de la cruelle détermination s’attachant au harcèlement décrit plus haut. Un usage bien tempéré de l’outil psychanalytique montre ici tout son intérêt pour le domaine de la santé. Réactualiser l’importance de cette approche à partir d’un domaine controversé de la pratique de l’urgence et de la crise est un autre but de ce travail.


Syndrome de médée, complexe de médée

Un «complexe de Médée» a été décrit par E. Stern2 dans une étude visant à élucider la dynamique de l’infanticide passionnel et connaît actuellement un regain d’intérêt dans des domaines aussi divers que les affaires criminelles, la psychiatrie de l’enfant et les conflits familiaux en situation de séparation parentale.3 Le mythe a, dans ses maintes versions, la propriété de faire parler une dimension tragique universelle de l’humain, dans le cas spécifique «l’enfant réduit à la condition d’objet de vengeance».3 Frappée, à son corps défendant, par la flèche d’Eros, Médée se plie à son amour pour Jason contre promesse d’une éternelle fidélité. Elle aide ensuite les Argonautes à s’emparer de la toison d’or, le trésor inestimable appartenant à son propre père. Puis s’exile en Grèce avec son amant. Mais le volage Jason se lasse de son amour. Trahie et humiliée, la superbe Médée tue alors ses enfants et, en proférant des terribles mots de vengeance,4 déchire le ventre qui a enfanté les fils du héros. Les études psychanalytiques ont insisté sur le lien entre le fonctionnement de Médée et un complexe inconscient caractérisé par une hostilité prononcée envers le sexe masculin (envie du pénis).5 Le propos de priver l’homme de sa descendance relèverait de l’intention de le priver de sa puissance (pénis = enfant, et vice versa) et donc de le châtrer. Mais la Médée qui déchire son ventre illustre un aspect plus perturbant de la déception d’amour. Son besoin d’éternelle fidélité témoigne en effet d’un conflit profond avec une identité de mère qui marquerait la fin d’attachements familiaux aussi ambivalents qu’indissolubles et une incapacité de transposer ceux-ci dans le monde de sa vie sentimentale adulte. Le conflit furieux entre sexualité et amour parental, angoisse de séparation et emportement du désir est le trait le plus marquant de Médée et l’aspect le plus tragique d’une trajectoire par trop semblable à celle d’un deuil tragique et meurtrier de l’enfance. La toison enlevée, sa patrie est perdue : une hostilité plus profonde est simultanément réveillée. Médée n’est pas pour rien une sorcière, la hors-la-loi, ennemie mortelle de l’enfant de nos contes de fées où tant de bons rois ne cessent de la proscrire. Une Némésis poursuit depuis les amants qui rejoint les deux volets du conflit rappelés plus haut. D’abord meurtre du frère, puis assassinat de ses propres enfants. Ce destin rejoint le récit légendaire du rôle conjuratoire d’une toison sacrée et des rites sacrificiels du bouc par rapport au sacrifice d’enfants visant à apaiser d’obscures divinités matriarcales. Que Médée déchire ses entrailles et tue ses enfants, ou qu’elle essaie de priver son conjoint de ces derniers, une même nécessité arme sa main ou instrumente ses ruses. C’est l’image d’un enfant humain produit de l’amour des parents qu’elle vise et avec lui le scandale de ses imprévisibles vicissitudes de ce même amour, que nulle sorcière ne saurait tolérer.


Clinique du syndrome de médée

Le harcèlement visant la privation violente d’enfant a des présentations excessivement variées et il faut le couvrir par le concept de syndrome de Médée, pour souligner la grande diversité des situations en présence, le complexe de Médée visant plutôt à désigner la commune racine de cette clinique dans un parcours sadique de la perte que le mythe grec a magistralement éclairé. En pratique, une démarche structurée et impitoyable est mise en place, visant à entraver l’accès à l’enfant mais aussi à placer la victime dans une situation d’impotence pour mieux sévir, élément sadique pathognomique du syndrome. Des comportements d’intimidation et d’exclusion sont adoptés également envers les proches et alliés de la victime, médecins compris. Les enfants sont les premiers à subir des pressions morales afin qu’ils refusent de suivre le conjoint mais aussi de lui parler lors des visites, des téléphones, à l’école et même en cas d’hospitalisation. Il s’agit en somme d’une forme organisée de maltraitance qui porte sur une dimension vitale de la vie affective et se traduit par des effets psychotraumatiques très importants. Celui ou celle qui en font les frais sont à considérer à tous points de vue comme des victimes. Du côté de celles-ci, on remarque un syndrome de stress post-traumatique d’intensité variable en rapport avec l’horreur d’être privé de ses enfants. Le père privé de l’enfant souffre aussi souvent de dépression, de troubles anxieux et peut tenter le suicide. On s’apercevra ensuite que le syndrome de Médée a une histoire, et que pour le père le divorce a été une délivrance. En d’autres mots, la privation d’enfant prolonge un rapport de couple à l’enseigne du caractère tyrannique de l’épouse maltraitante qui n’hésitera pas à se servir d’accusations infondées d’inadéquation, de violence et même d’abus sexuel susceptibles d’engendrer un sentiment paralysant d’horreur. Soutenues par un sentiment de supériorité morale et une attitude de mépris, ces plaintes témoignent d’autre part d’une bonne conscience déconcertante. La victime nécessite des soins qui doivent mettre au premier plan un soutien et une guidance appropriés. Pour que cela marche, le choix du médecin doit appartenir au seul patient et l’indication du traitement ne doit en aucune façon stigmatiser le comportement de celui-ci. Ce sont des interventions de longue haleine, car la situation traumatisante va durer, qui font appel à une prise de position claire du médecin par rapport au harcèlement. Une observation et un diagnostic soigneux s’imposent, éventuellement à l’aide d’un spécialiste. Cette évaluation est facile à réaliser dans le cadre d’un suivi initial serré permettant de récolter un matériel de première main sur les faits en présence. Les traitements pharmacologiques sont utiles en cas d’effondrement dépressif ou de stress post-traumatique grave. Les antidépresseurs sont alors à préférer à la sédation. On assiste parfois au réveil d’anciens troubles névrotiques et il convient alors de faire appel au spécialiste qui peut plus facilement adopter une guidance à géométrie variable. Ce volet du traitement a son focus électif au niveau des craintes suscitées par la confrontation avec l’image terrifiante d’un compagnon habité par une fureur «Médéique», mais doit s’adresser aussi au sentiment de faute et de désillusion des patients qui se mettent en ménage avec des Médées. Ces troubles peuvent se traduire à la fois par un activisme ou des évitements pouvant faire obstacle à des démarches rationnelles d’autodéfense mais aussi à un processus de deuil permettant de refaire sa vie avec un nouveau partenaire. A mon avis, ce type de traitement nécessite également une guidance et une aide active sur le plan médico-légal.


Genèse intersubjective du syndrome de médée et retour des rites de proscription dans la société civilisée

Médée jouit du soutien d’un entourage qui forme autour d’elle une «pseudo-communauté» l’aidant à atteindre ses buts. Dans notre société multiculturelle, cela se nourrit de l’affrontement de cultures inconciliables chez des groupes fermés, habités par des croyances magiques et inféodés à des loyautés patriarcales ou matriarcales. On est étonné de découvrir combien souvent les membres de professions soignantes, sociales ou juridiques qui sont supposés porter les valeurs de l’état de droit, montrent par contre des réactions d’évitement, de dénégation, voire de complaisance envers le maltraitant. Trauma sur trauma, ces attitudes ont un effet redoutable sur la victime. Privée de for où sa cause pourrait être entendue, elle entamera cette voie finale de la détresse traumatique consistant à se percevoir comme anéantie et privée d’identité. La raison psychologique ne suffit donc pas dans de pareils cas. L’emprise du syndrome résulte également de l’impact intersubjectif d’un scénario rejoignant une espèce de retour sur scène d’anciens rites collectifs de proscription. Les vicissitudes de la vie amoureuse et du deuil sont un moteur électif de ce retour. Un sentiment perturbant de faute domine la scène sociale. Depuis on se cherche, quelle que soit l’attitude manifeste, un bouc émissaire. Les questions du châtiment et de la réparation, de la propriété d’un enfant réduit à l’état de chose et de la marque d’infamie à appliquer au coupable vont suivre. Mais, dans un cas comme dans l’autre, une même grandiosité a pris sournoisement possession des jugements moraux du groupe qui se laisse gagner par un sentiment que le Mal est quelque part et réclame un sacrifice. Mais alors, le fait de réclamer, participer ou seulement rester impassibles devant la destruction de la relation du parent et de son enfant ne représente-t-il pas la répétition d’anciens rites de proscription, eux-mêmes héritiers des anciens sacrifices d’enfants ? C’est en somme Médée qui gouverne désormais les logiques affectives du groupe social et fait dérailler les jugements de valeur et la relation affective avec la réalité de ce qui est en train de se passer.

Avant d’être affligée par le relent actuel du syndrome de Médée, la société civilisée avait bien souffert d’un syndrome d’Anna Karénine marquant cette fois-ci d’infamie la femme traîtresse à son foyer par amour et la privant d’enfant. Ici aussi le deuil du rapport conjugal se transformait en un rite sadique de proscription, en une condamnation et au vagabondage qui s’ensuit. Pas loin de nous, et même parmi nous, des rites de répudiation déclinent également au masculin la nécessité incarnée par le mythe de Médée. Au gré de son évolution dans un sens matriarcal ou patriarcal, notre culture s’approprie ainsi un même rite sacrificiel, qui constitue un déraillement sadique du deuil d’amour et de ce que cette perte très particulière fait apparaître de notre besoin dérisoire d’une éternité de nos attachements. Quelque chose d’indépassable est introduit dans notre conscience morale et notre identité par la sexualité et les rapports de l’amour et de l’humain dans la psychologie collective. C’est pourtant une banale peine d’amour qui est à la base de tout cela... et le problème, c’est bien la démesure du syndrome de Médée par rapport à la réalité de ce qui est en train de se passer. Mais dire émergence d’un rite collectif, c’est dire aussi dislocation de la logique de notre rapport avec la réalité. Cela pose le problème de savoir comment intervenir efficacement auprès de l’individu ou du groupe maltraitant. Il est vain d’espérer que des personnalités aussi grevées de troubles de la personnalité acquiescent à autre chose que l’intimidation pénale. Et il ne sert à rien de prescrire médiations ou traitements tant que cette folie n’a pas été sanctionnée. Médecins et juristes devraient donc être conscients que paranoïa et sadisme sont tels dans le syndrome de Médée que seule l’intimidation pénale peut arrêter ces sujets délirants qui ne deviendront jamais fous. La mère ou le père qui s’entêtent à vouloir priver le conjoint de ses enfants sont en fait habités par le sentiment d’être des justiciers : leur cause doit donc être entendue et jugée, sans quoi les bonnes intentions de la pédagogie ou de la psychothérapie ne pourront rien. Force est de constater que des législations prévoyant ce délit, mais aussi des mesures de puissance partagée, assorties de peines sévères pour le non-respect des droits des ex-époux, ont donné des résultats encourageants (Zizolfi, 2009, communication personnelle). C’est donc bien la voie qu’il conviendrait de suivre à l’avenir.


Implications pratiques

> Le syndrome de Médée est important en raison de la gravité extrême de la souffrance infligée et de la fréquence augmentée des séparations conjugales aboutissant à des confrontations hostiles et stigmatisantes

> Des interventions médicales spécifiques s’imposent, et ont un certain succès, en particulier chez la victime

> L’entourage proche, mais aussi les professionnels, réagissent parfois à la survenue du syndrome de Médée par des réactions d’évitement ou de dénégation que le médecin doit bien connaître, s’agissant de comportements pouvant beaucoup aggraver le stress traumatique de la victime

> Des nouvelles législations devraient permettre de mieux reconnaître le caractère délictueux de la privation d’enfant à but de vengeance passionnelle et de sanctionner cette conduite de façon appropriée

Bibliographie

  1.  Palmer SE. Custody and access issues with children whose parents are separated or divorced. Can J Commun Ment Health 2002;4(Suppl.):25-38.
  2.  Stern ES. The Medea Complex. J Ment Sci 1948;94:321-31. [Medline]
  3.  Depaulis A. Le complexe de Médée. Quand une mère prive le père de ses enfants. Bruxelles : Editions De Boeck Université, 2008; 169 p.
  4.  Euripide. Médée. Paris : Hachette, 1992.
  5.  Lansky MR. The impossibility of forgiveness : Shame fantasies as instigators vengefulnness in Euripide’s Medea. J Am Psychoannal Assoc 2005;53:437-64. [Medline]
*à lire**à lire absolument

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