Sociologie

Pervers narcissiques : enquête sur ces manipulateurs de l'amour (Anne grignon pour le nouvel observateur)

Le phénomène se répand au point que certains psys le qualifient de "mal du siècle"

 

Les manipulateurs de l'amour (Illustration Catherine Meurisse pour "le Nouvel Observateur")

Melody. Belle comme Audrey Hepburn. Gaie, attentive aux autres. Elle s'est pendue à 28 ans. On l'a trouvée dans la cuisine de l'appartement où elle vivait avec un homme rencontré un an plus tôt. La conséquence d'une dépression, pour les parents. Les amis savent autre chose, un scénario à peine imaginable. C'est lui qui l'a poussée au suicide. Elle allait le quitter pour un autre, alors il lui répétait qu'elle était "un monstre" et qu'il allait se suicider à cause d'elle. Un huis clos insensé, de plus en plus accusateur, et Melody s'est pendue. Elle vivait avec un manipulateur pervers. Probablement ignorait-elle tout de cette déviance. Une innocence fatale.

Toute relation toxique, bien sûr, ne conduit pas au suicide, mais le risque est là. Une prise de conscience collective affleure. On met enfin un nom sur la violence perverse dans les rapports humains. "Perversion narcissique" : l'expression est entrée dans la conversation courante. Des livres sont en kiosque dans les gares, comme celui du psychanalyste Jean-Charles Bouchoux ("les Pervers narcissiques", Eyrolles), deux fois réédité sous l'effet d'une demande croissante. Sur internet, le site SOS Pervers, ouvert en novembre dernier, reçoit plus de 1.500 visites par jour. Le savoir s'échange dans les forums de discussion.

 
 
 

Vampires affectifs

Taper "perversion narcissique" sur Google, c'est pénétrer un monde parallèle et funèbre. Des contributeurs sortis des griffes de leur tourmenteur viennent à la rescousse de novices déboussolés. Les initiés parlent de "PN". L'un des sites les plus visités s'appelle Pervertus - il est sous-titré "blog d'intérêt public" - et commence ainsi : "Ils représentent 3% de la population [bien plus selon les spécialistes, ndlr] et détruisent 90% de leur entourage. Eux, ce sont les manipulateurs pervers ou vampires affectifs. Allez-y : levez les yeux au ciel, grimacez, soupirez. Parler des manipulateurs, c'est comme parler des petits hommes verts... On vous rit au nez[...]. Et pourtant ils sont bien réels."

Le mal n'est pas nouveau mais en recrudescence express, selon Dominique Barbier, criminologue et expert psychiatre avignonnais, ami de Boris Cyrulnik, qui écrit un livre (à paraître cette année chez Odile Jacob) pour expliquer en quoi notre époque est une véritable "fabrique de pervers". Le consumérisme frénétique et l'affaiblissement de la fonction paternelle entraînent une intolérance à la frustration de plus en plus répandue. Cette immaturité serait le terreau fertile de la prédation morale et d'un rapport à l'autre de plus en plus utilitaire. "C'est le mal du siècle. Ce que j'observe est effrayant, dit le criminologue. N'importe qui peut tomber sous la coupe d'unpervers."

Relations toxiques

La perversion narcissique consiste à employer des moyens retors - en l'occurrence vampiriser et anémier son partenaire - pour combler une faille infiniment béante et un vide intérieur. Ce "vide vertigineux dans lequel tout affect semble avoir été éteint depuis l'enfance" dont parle Geneviève Reichert-Pagnard, psychiatre et victimologue, auteur en 2011 d'un ouvrage très fin sur "les Relations toxiques" (Ideo). Autant de femmes que d'hommes sont confrontés à la prédation morale au sein du couple. Ceux et celles, innombrables, qui ont ainsi subi une insidieuse altération de leur intégrité psychique racontent tous une semblable histoire.

Des débuts grandioses. Le manipulateur sent ce que l'autre attend. Il est caméléon le temps de ferrer sa proie. Dans ce piège amoureux, tout le monde tombe, car le temps de la séduction (phase 1) peut durer... des années. Le pervers sommeille avant exécution de ses noirs désirs : l'emprise (phase 2) et l'assujettissement (phase 3). Il va soumettre peu à peu son partenaire pour en prendre le contrôle. La bascule perverse advient à la faveur d'un événement qui scelle la dépendance, souvent l'arrivée d'un premier enfant. L'être exquis des débuts dévoile une dureté de ton qu'on ne lui soupçonnait pas et se révèle dans toute sa "dangereuse étrangeté", selon l'expression du délicat Paul-Claude Racamier, psychanalyse, inventeur de la notion de perversion narcissique, qui en 1987 posa les bases de cette difformité morale (1).

Serial killer psychologique

Dans le secret de la vie de couple, le manipulateur ou la manipulatrice se comporte en serial killer psychologique. Il ne veut pas que l'autre ait confiance en soi, il fait vaciller cette flamme. C'est un extincteur de vie. La joie de l'autre s'éteint peu à peu. "C'est une folie très répandue, mais personne ne la voit", dit François, qui a passé dix ans avec une prédatrice, rencontrée à l'issue de brillantes études d'ingénieur. Lui a dû déjouer bien des ruses au cours d'un divorce pénible. Car, malgré la loi de 2010 faisant du harcèlement psychologique dans le couple un délit, nombreux sont les magistrats et avocats qui ne savent pas reconnaître un manipulateur. Ils se font avoir, eux aussi, par la remarquable duplicité de ces comédiens-nés, leur angélisme apparent.

Impassible, jamais affecté par rien, même s'il prétend le contraire (seule la blessure d'orgueil le fait souffrir), le pervers narcissique fera passer pour déséquilibrée sa victime poussée à bout. Même les psys peuvent être bernés, car "le pervers offre à l'observateur l'air de la parfaite innocence", observe Marie-France Hirigoyen, qui en 1998 a popularisé la notion de harcèlement moral (2).

La révélation peut survenir après dix ou vingt ans de vie commune. Le visage véritable d'un mari ou d'une femme apparaît brutalement. C'est le syndrome Dorian Gray. Une fois la prise de conscience advenue, le partenaire, qui ressent depuis longtemps un malaise diffus, relit l'histoire commune à la lumière de ce nouveau savoir, mais le départ est retardé par la nature complexe du lien, la relation d'emprise, qui est une véritable prise de pouvoir sur l'esprit de l'autre. Etre équilibré ne garantit qu'une chose : la rémission rapide, une fois le cauchemar terminé.

"Le détraqueur porte un masque"

Pour les plus fragiles, quelques années seront nécessaires pour dépasser un véritable choc post-traumatique (une victime dit être "marquée au fer rouge"), d'autant que la séparation ne met pas fin au harcèlement quand le couple a des enfants. Continuer de se défouler sur l'ex-partenaire permet à l'agresseur d'offrir, du moins momentanément, un doux visage à sa nouvelle proie. On observe de la part du pervers divorcé un abus de procédures judiciaires.

Ce "détraqueur" porte un masque. Il est sociable, adorable, fréquentable, admirable, car la crispation morbide envers une proie unique, une seule, suffit à écluser sa compulsion destructrice. Ce double visage lui permet d'entraîner quelques proches qui, de bonne foi, vont croire en sa version des faits lorsqu'il inversera les rôles pour expliquer que c'est lui la victime. "L'ignorance, c'est 50% du problème",explique Isabelle Nazare-Aga, thérapeute cognitivo-comportementaliste, son énergique crinière blonde ondulant au rythme du feutre sur le tableau blanc.

Un séminaire démarre, ce samedi de novembre à l'aube, dans son appartement du 16e arrondissement parisien. Il y a là une dizaine de femmes et deux hommes. Une grande Danoise très amaigrie prend la parole. Son beau visage exprime la lassitude et le tourment. Elle n'arrive pas à quitter son mari qui, dans leur banlieue chic, se livre sur elle à un véritable tabassage moral. L'homme l'a coupée de tout, de ses amis, de sa famille. Elle est intelligente, sensible, perdue. On sent qu'elle pourrait tomber gravement malade.

Comment se défaire de l'emprise 

Durant ces deux jours intenses, nul retour sur des traumas passés pour expliquer la tolérance à l'insupportable, mais un échange salvateur entre hommes et femmes à qui Isabelle Nazare-Aga expose précisément la nature de l'emprise perverse et la façon de s'en défaire. La jolie et lumineuse Vanessa, documentaliste, demeurée célibataire et sans enfants car elle n'a plus jamais pu "faire confiance à nouveau", raconte : "A la maison, c'était humiliation sur humiliation. Il me disait : "Mets des chaussettes, tes pieds me dégoûtent", m'appelait "ma gorette" en pinçant le peu de graisse que j'avais. Je coulais petit à petit. Physiquement, je disparaissais. Je ne pesais plus que 40 kilos, mais comment prouver cela ? Pas de témoin. Aux yeux de tous, c'était moi la désaxée." Scénario type.

Affaibli par l'intense travail de culpabilisation mené par le manipulateur, incapable d'imaginer une malveillance qui lui est étrangère, le partenaire incrédule se dit avec indulgence que son mari ou sa femme, "c'est Dr Jekyll et Mr Hyde", frôlant de près une vérité qui lui échappe encore. Aussi brillant soit-il, l'assujetti a du mal à y voir clair. Une "main basse sur l'esprit", pour le psychanalyste Saverio Tomasella. Racamier parlait même d'un " véritable détournement d'intelligence ".

Le pervers reproche à l'autre la zizanie que lui-même s'évertue à semer. Agnès, radieuse serveuse de bar au fond du Finistère, revenue pour sa part sans difficulté à la vie à l'issue de "ce combat perdu d'avance", raconte : "On marchait dans la rue bras dessus, bras dessous ; tout allait bien. Trop bien pour lui, car, d'un seul coup, c'est comme s'il lui fallait impérieusement détruire et salir. Il me balançait une saloperie pour créer du confit et me le reprocher après." Il lui aura fallu quatre ans pour comprendre.

Alternance de maltraitance et de tendresse

Pas si facile d'y voir clair en effet. Qui a la culture psychiatrique pour faire la différence entre le pervers "tout le temps dans le calcul, tel un joueur d'échecs préparant son attaque cinq coups à l'avance" (selon Dominique Barbier) et la femme ou le mari difficile à vivre, instable, pas très à l'écoute et on en passe, mais doté d'affection réelle et - surtout - d'une capacité de remise en question de soi ? Seuls les gens avertis.

Pour ceux-là, le pervers narcissique, construit sur un stéréotype somme toute sommaire, devient plus facile à repérer. Il manie le chaud et le froid dans une subtile alternance de maltraitance et de tendresse. Quand l'autre est à bout, il regagne sa confiance. Son manque d'empathie est central. Il observe la souffrance avec indifférence. Sa gamme de sentiments est pauvre, c'est comme s'il ne disposait que d'une octave sur son piano émotionnel.

Il faut un véritable savoir pour repérer cette froideur de cœur, car feindre d'avoir une sensibilité qu'il sait inexistante fait partie de son art. Il vampirise l'autre jusqu'à l'épuiser - l'expression "se faire bouffer" prend tout son sens. Il est intensément jaloux d'une vie intérieure qu'il n'a pas. C'est un insatisfait chronique qui ne supporte pas le bien-être de l'autre. Il ne tient aucunement compte des besoins de son partenaire. Très vite, la relation s'articule autour de ses seuls désirs, situation ainsi résumée par Agnès : "Il occupait 90% de l'espace entre nous."

Ni remords ni culpabilité

Ni remords ni culpabilité. Il n'a jamais tort, ne demande pas pardon, sauf par stratégie. A travers chaque reproche infondé, calomnieux, adressé à sa victime, l'agresseur fait son autoportrait. Cela fera office d'aveu de ce qu'il est lui-même. Un aveu bien involontaire, car son système de relation repose sur le déni, qui est l'occultation d'une partie de la réalité. C'est d'ailleurs pourquoi son partenaire ressort de discussion (tentative de discussion, devrait- on dire) "avec le cerveau complètement embrouillé" - l'expression revient souvent dans les témoignages. "A devenir dingue, dit Paul, ancien journaliste du "Monde". Avec une personne normale, quand il y a un désaccord, chacun donne ses arguments, il y a un échange. Là, tu n'as prise sur rien. Ca rend fou."

Autre caractéristique majeure : sa façon de dénigrer, insidieusement. Avec des plaisanteries. Du sarcasme. Il rabaisse l'autre par petites touches. Ca n'a l'air de rien mais dans son flot de paroles passe un poison lent. "Je me sentais pire qu'une merde" ou "une sous-merde" : les témoignages sont récurrents là aussi. "Rien n'est plus 'blessable' qu'un narcissisme non pathologique attaqué par un narcissisme pervers", écrivait Paul-Claude Racamier, qui proposa cette définition : "Le mouvement pervers narcissique est une façon organisée de se défendre de toutes douleurs et contradictions internes et de les expulser pour les faire couver ailleurs, tout en se survalorisant, tout cela aux dépens d'autrui et non seulement sans peine mais avec jouissance."

Expulser en l'autre son propre chaos mental

Expulser en l'autre son propre chaos mental : cette acrobatie psychiatrique est "la" raison d'être de la perversion narcissique. Le pervers manœuvre inconsciemment pour transférer chez l'autre la psychose ou la dépression qu'il cherche à éviter.

On le reconnaîtra enfin à ce que, essentiellement préoccupé de lui-même, il est constamment dans la construction de son image. Cette obsession de paraître le mène souvent haut, dans les métiers de pouvoir et de représentation, où son bel habit social, sa brillance bien souvent, le hisse au-dessus de tout soupçon. "C'est parmi ces manipulateurs destructeurs qu'on trouve les plus grands imposteurs, mystificateurs et escrocs", dit le docteur Geneviève Reichert-Pagnard. Savoir reconnaître un pervers narcissique, c'est repérer ceux qui passent au fil de l'actualité politique, intellectuelle, artistique.

Pas de thérapie possible

Espérer un amendement, voire une guérison est généralement illusoire. "Ca n'est pas une maladie, ça ne se soigne pas. Il n'y a pas de médicament, pas de thérapie possible, dit Dominique Barbier, l'expert avignonnais. Ces gens ne sont pas demandeurs et ne consultent pas, sauf par calcul, pour donner de faux signes de bonne volonté. La problématique relève de la justice et de la police, en aucun cas de la médecine. Ce sont des salopards qui ne changeront jamais." Il n'est pas le seul thérapeute à en perdre la réserve d'usage.

Nulle mention de ce profil dans le DSM-IV, manuel de classification internationale des troubles mentaux. La notion se cherche. Pour certains, il ne faut pas craindre de parler de véritable déviance morale et de poser la question du mal, comme le fit Scott Peck, psychiatre américain. Pour d'autres, c'est une psychose sans symptômes apparents, avec une dimension paranoïaque, ou "psychose blanche", une maladie incurable. On pourrait classer le manipulateur sur une échelle de 1 à 10 selon la toxicité.

Du tyran domestique au sadique

Niveau 3, le tyran domestique, réfugié dans le déni, qui, pour ne pas sombrer, blesse l'autre involontairement ; niveau 8, le sadique qui se défoule en jouissant de la douleur morale qu'il inflige sciemment. Quoi qu'il en soit, même un "petit" PN fait de considérables dégâts. On ne gagne jamais face à lui. On ne peut que s'en aller.

Et c'est ainsi que la perversion narcissique laisse un nombre grandissant d'hommes et de femmes dans un état de sidération, une fois achevée cette leçon de ténèbres. Après inventaire du désastre, on comprend qu'à l'occasion d'une discussion sur internet où des femmes s'interrogeaient sur la rémission possible de "leur" PN, un thérapeute ait déposé cet avertissement :"Je suis psychiatre. Mais jamais je ne croiserai le fer avec un pervers narcissique."

(1) " Le Génie des origines. psychanalyse et psychoses ", Payot, 1992.

(2) " Le harcèlement moral", La Découverte / Syros, 1998.

(Article publié dans "le Nouvel Observateur" du 19 janvier 2012)

 

 

Souffrances invisibles..rendre l'invisible visible

 

Face aux PN, ce que dit la loi

Voilà bientôt trois ans que la loi "relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants" a été adoptée. Ce texte a créé le délit de harcèlement moral au sein du couple, mais l'immense majorité des pervers narcissiques qui exercent des violences morales contre leur conjoint continuent à échapper à la justice.

(En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/societe/vers-une-nouvelle-definition-du-harcelement-au-sein-du-couple_1261946.html#Djxdsl1Y2TC2yzRJ.99)

 

CC Flickr Léa Bouillet

Jusque-là strictement limitée à la sphère professionnelle, la notion de harcèlement moral s'entend aussi, depuis 2010, au sein des relations de couple, envers les hommes autant qu'envers les femmes. La loi du 9 juillet 2010, relative aux violences faites aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, condamne par l'article 222-33-2-1 « le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». 

Ici aussi, comme dans le cadre du harcèlement moral au travail, il est nécessaire de pouvoir prouver les faits et leurs conséquences, via des attestations de proches, des certificats de spécialistes, des témoignages concordants... 

L'élargissement de la loi au harcèlement moral conjugal vient renforcer la sécurité psychologique dans le couple puisqu'auparavant, seules les violences physiques étaient punissables. 

Par ailleurs, ces dispositions concernent aussi les anciens conjoints ou anciens concubins de la victime, ainsi que d'anciens partenaires liés à cette dernière par un pacte civil de solidarité. 

Ce délit est désormais passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, ou cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, en fonction de la gravité des dommages subis. 


Source : http://www.justice.gouv.fr/justice-penale-11330/le-delit-de-harcelement-moral-23635.html

 

Qu'est-ce que la violence psychologique ? 
Abus de pouvoir et de contrôle qui s’expriment le plus généralement dans les comportements suivants, reconnus comme forme de violences psychologiques : 
-          Rejet de la personne : ignorer sa présence ou sa valeur, lui faire comprendre qu’elle est inutile et inférieure, dévaloriser ses idées et ses sentiments 
-          Isolement : réduire les contacts, restreindre sa liberté de mouvement 
-          Dévalorisation : insulter, ridiculiser, parodier, infantiliser, se comporter d’une manière qui porte atteinte à son identité, à sa dignité ou à sa confiance en soi 
-          Terroriser la personne : lui inspirer un sentiment de terreur ou de peur extrême, la contraindre par l’intimidation, la placer en milieu inapproprié ou dangereux ou bien menacer de l’y placer 
-          Menaces d’abandon, de violences graves, de mort… 
  
Qu'est-ce que le harcèlement moral ? 
Le harcèlement moral se définit comme toute conduite abusive (geste, parole, comportement, attitude…) qui porte atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne. 
Subir ces violences peut avoir de graves conséquences sur les victimes (enfants, adultes, personnes âgées) elles ont alors besoin 
·         D’être entendues 
·         D’être accompagnées 
·         D’agir 
  
Dans le milieu familial : 
On peut détruire quelqu’un juste avec des mots, des regards, des sous-entendus : cela se nomme violence perverse ou harcèlement moral.  Marie-France HIRIGOYEN, psychiatre, psychanalyste et psychothérapeute familial, «Le harcèlement moral », ed. Syros 
La loi du 9 juillet 2010 est venu créer, à l'instar du délit de harcèlement moral en entreprise, un délit de harcèlement moral au sein du couple défini dans le nouvel article 222_33_2_1 du code pénal. 
Au plan civil, la loi du 9 juillet 2010 instaure un dispositif tout à fait novateur : "l'ordonnance de protection" qui peut être délivrée par le juge aux affaires familiales lorsque le Juge estime qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission de faits de "violences exercées au sein du couple ou au sein de la famille, par conjoint ou un ancien conjoint, un partenaire ou un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un concubin ou un ancien concubin mettant en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants". 

 

 

Tous les parents sont-ils coupables? (vilaine Gelly)

Nous leur en voulons souvent de ne pas nous avoir aimés comme nous le souhaitions. Pourtant, grandir c’est aussi faire le deuil de nos déceptions et de nos illusions. Pour réussir à dépasser enfin le fantasme des parents parfaits.

C‘est une anecdote galvaudée, mais on ne s’en lasse pas : à l’une de ses patientes qui lui demandait comment être une bonne mère, Freud aurait répondu : « Quoi que vous fassiez, vous ferez mal. » En un sens, le père de la psychanalyse avait raison : il n’est pas un parent qui échappe aux reproches de son enfant.

De « Maman ne m’a pas assez pris dans ses bras » à « Je n’attache pas mes cheveux parce que mon père se moquait toujours de mes oreilles décollées », on y revient toujours.

De la souffrance avant tout ?

A “Psychologies magazine”, quand l’un ou l’une d’entre nous se laisse aller à dire du mal de ses géniteurs (légère déformation professionnelle…), on appelle ça le "syndrome Thénardier", en référence à l’affreux aubergiste qui maltraite la petite Cosette dans “Les Misérables” (Folio, 1999). D’ailleurs, la littérature est pleine de ces doléances lancinantes, vouant les parents aux gémonies. Et les divans des psys débordent de "trentenaires-et-plus" qui, n’ayant pas rompu le lien fusionnel avec leurs parents, le manifestent par des reproches sans fin. La preuve a contrario : au cours d’une soirée, lâchez négligemment : « Moi, j’ai des parents formidables », et vous verrez les regards se tourner vers vous, remplis de commisération : vous êtes forcément dans le "déni".

Car les psys s’accordent à dire que la carence comme le trop-plein d’amour peuvent être source de souffrance : que nos parents nous aient surinvestis ou qu’ils nous aient malmenés, nous en portons les cicatrices, intimes et profondes. Ces empreintes inscrivent en nous le ressentiment, la colère, la rancœur et parfois la haine. Et nous ne parlons pas ici des sévices, de la maltraitance ou de la violence. Mais d’une claque tombée au mauvais moment, de la répétition de paroles vexantes, de la position de chouchou dans la fratrie… Tous ces souvenirs rabâchés ne cessent de nous blesser, au risque de nous gâcher la vie.

Que reproche-t-on à nos parents ? Tout et n’importe quoi. Des violences parfois, mais également des broutilles. Alors pourquoi cette souffrance ? Pourquoi ce besoin de ressasser ? Certes, les thérapies et la psy mal comprises peuvent nous entretenir dans ce phénomène. Mais l’honnêteté pousse également à dire que, parfois, leur en vouloir nous arrange. « Beaucoup de personnes souffrent de leurs parents, explique la psychanalyste et pédopsychiatre Caroline Eliacheff. Se placer en position de victime procure une sorte de jouissance, la souffrance subie devient alors la seule raison d’être du sujet, qui finit par s’y complaire. »

Et tant que c’est la faute de papa-maman, on ne se sent pas responsable de son incapacité à garder un travail ou un compagnon. Ni assez lucide pour comprendre que l’on ne tombe jamais amoureux de la bonne personne parce que l’on choisit toujours celui ou celle qui va surtout plaire à maman ou déplaire à papa. Et on reste prisonnier de liens infantiles aliénants que l’on alimente à force de reproches.

 

Grandir, c’est faire avec

Pour le sociologue Robert Ebguy, auteur de La France en culottes courtes (J C Lattès, 2002), « la mode des thérapies ou des techniques de développement personnel qui prônent le “lâcher-prise” légitime le désengagement et la régression narcissique. Et l’une des tentations de ce désengagement est de jouer la carte de la victimisation : “Ce n’est pas de ma faute.” Sous-entendu, c’est celle de papa-maman. D’autant que, à trop vouloir combler leurs enfants rois, les parents ont parfois oublié de leur apprendre que la vie n’était qu’une succession de frustrations. A commencer par l’Œdipe qui empêche le petit garçon d’épouser sa maman ! »

Accepter ses parents, c’est faire le deuil d’un parent idéal, au même titre que les parents doivent, inévitablement, faire le deuil de l’enfant idéal. Accepter que papa et maman ne soient pas parfaits, c’est prendre sa place dans une lignée, dans une généalogie pleine de failles, où des générations de parents ont fait ce qu’ils pouvaient, comme ils pouvaient, avec leurs propres souffrances et leurs propres ressentiments. Grandir, « c’est faire avec ce qu’ils sont », nous dit Maryse Vaillant. L’acceptation des failles parentales est une des voies ordinaires de la maturité, celle qui permet de sortir du cocon de la dépendance première. Mais rompre ces liens-là, grandir tout simplement, est douloureux. Rester dans l’enfance affective, c’est rester dépendant du regard des parents sur nos vies. Même à six cents kilomètres de distance puisqu’il suffit qu’au téléphone votre mère critique le prénom que vous voulez donner à votre bébé pour que vous fondiez en larmes.

Une fois compris, avec Françoise Dolto, que « ce n’est pas de leur faute, c’est de leur fait », on peut laisser tomber la rancœur. Tous ceux qui parlent du « métier de parents » oublient de préciser que l’on cherche désespérément l’école où il est enseigné. On n’apprend pas à devenir parent. On le devient grâce ou en dépit des relations que l’on a soi-même entretenues avec ses propres géniteurs. Et c’est en mesurant cette chaîne généalogique et en y tenant sa place, le jour venu, avec ses propres enfants et les reproches qu’ils nous feront, que l’on prend le chemin de l’acceptation. Après tout, conclut Caroline Eliacheff, « accepter les reproches de ses enfants, c’est se réjouir de leur avoir donné leur propre jugement et la liberté de l’affirmer ». Et c’est déjà beaucoup.

Le reproche

« Il y a quelques années, j’ai vécu des moments difficiles, notamment parce que j’étais incapable de construire une histoire d’amour sérieuse, avoue Agnès, 40 ans, architecte. Au cours d’un stage de développement personnel, j’ai beaucoup parlé de mon père, de son manque de tendresse, de sa lâcheté et de l’enfer qu’il avait fait vivre à ma mère. Et puis, à un moment, la thérapeute s’est énervée.

“D’accord, ton père t’a fait souffrir et personne ne nie ta douleur. Mais à dater d’aujourd’hui, de cette heure précise, tu vas devenir coresponsable de cette souffrance. Si tu continues à l’entretenir, c’est qu’elle te sert d’alibi pour ne pas prendre le risque de vivre. Et ça, ce n’est pas la faute de ton père, c’est de ta responsabilité.” Ce fut violent mais salutaire. J’ai compris que je me cachais derrière mon père pour masquer ma peur de l’autre. Ce coup de pied aux fesses a changé ma vie. »

Honore ton père et ta mère

Appliquer ce commandement implique d’abord de savoir qui l’on est, explique Jean-François Noël, prêtre et psychanalyste.

« Les croyants entendent souvent les phrases bibliques comme des impératifs. Or, elles sont pédagogiques : elles proposent un chemin. Quand, dans l’Evangile, le Christ dit : “N’ayez pas peur”, les croyants se disent : “Je ne dois pas avoir peur, donc je n’ai pas peur.” Mais, pour cesser de trembler, il faut d’abord avoir expérimenté la peur. Dans la même logique, lorsque Dieu nous demande d’honorer notre père et notre mère, c’est parce que chacun doit travailler sur un sentiment qui ne va pas de soi. Honorer ses parents, c’est leur “rendre honneur”. On ne peut pas séparer ce commandement de cette autre phrase biblique : “Tu quitteras ton père et ta mère.”

Car, après les avoir quittés, on doit retrouver une relation au sein de laquelle, même si l’on passe inévitablement par un temps de reproche, on peut être suffisamment soi-même. Honorer ses parents, c’est reconnaître la part d’humanité qu’ils nous ont confiée en nous donnant la vie et la faire fructifier. Cela n’exclut pas d’avoir des devoirs envers eux. Mais cela n’implique pas, pour autant, être obligé de les aimer. »

A lire

• Peut-on faire le bonheur de ses enfants ? de Pauline Bebe, Caroline Eliacheff et Pierre Lassus. 
Faire le bonheur de ses enfants, c’est quoi ? Des éclairages historiques, religieux et psychologiques clairs et passionnants (L’Atelier, 2003).

• Parents toxiques de Susan Forward. 
Parce que certains parents (démissionnaires, manipulateurs, dominateurs, méprisants, critiques, etc.) 
sont néfastes au développement de la personnalité de leur enfant, l’auteur propose des pistes pour sortir à l’âge adulte de leur emprise (Marabout, 2002).

• Le Lien parental de Marie-Laure Delfosse-Cicile. 
Une réflexion sur la mission parentale et les conséquences de la démission des parents (Panthéon-Assas, 2003).

 

 

ADOS une enquête édifiante sur une sexualité à la dérive

Le livre de Géraldine Levasseur est poignant, instructif et bien écrit Par Mélina Hoffmann - BSCNEWS.FR
« L’enfant aurait voulu hurler qu’elle allait mourir, qu’elle ne pouvait plus respirer, ils s’engouffraient les uns après les autres sans lui accorder de répit, elle n’en pouvait plus. Lorsque le troisième garçon éjacula enfin, D. entendit des voix de plus en plus distantes, ses cheveux ne la tiraillaient plus, elle ne ressentait presque plus rien. Elle pensa au bien qu’elle se procurerait le soir en abîmant ses bras. L’adolescent qui la violait grogna fort et D. vomit.»

Avec 1 milliard de vidéos disponibles sur Internet et environ 700 000 sites pornographiques accessibles, le virtuel ne s’est jamais aussi bien porté. L’essor perpétuel des médias offre aux enfants et aux ados d’aujourd’hui la possibilité de se procurer, de visualiser et de s’échanger avec une facilité et une banalité déconcertantes toutes sortes de contenus, notamment des films, des vidéos et des images qui - bien souvent - n’auraient jamais du atterrir entre leurs mains.
Tandis qu’Internet est devenu la baby-sitter préférée de nombreux parents, il suffit d’un simple clic pour que s’efface l’avertissement « interdits aux moins de 18 ans » dont l’effet semble même être devenu plus attractif que dissuasif… A 7 ans, de nombreux bambins ont déjà vu leur premier film porno.
Ainsi, ce qui était autrefois un domaine réservé au monde des adultes a peu à peu envahi l’univers des enfants. La pornographie et tout ce qu’elle induit - brutalité, vulgarité, humiliation, simulation… - est désormais accessible à un public qui n’est pas armé pour interpréter ces images comme elles doivent l’être. Difficile de s’étonner alors que le nombre d’agressions sexuelles commis par des enfants augmente chaque année…
Journaliste pour Zone Interdite et Marie Claire, Géraldine Levasseur s’est penchée sur ce phénomène inquiétant. Six mois durant, elle s’est immergée au cœur de la brigade des mineurs de Marseille afin de suivre le quotidien de ses enquêteurs. Elle a recueilli les témoignages de nombreux collégiens, mais aussi parents, professeurs, psychanalystes, juges…
Elle nous raconte notamment l’histoire bouleversante de D., une ado de 13 ans, bonne élève et issue d’un milieu privilégié, qui a été durant trois mois le martyr des garçons de son quartier, subissant des viols quasi-quotidiens et se scarifiant pour exorciser son mal-être. Le récit douloureux d’un véritable calvaire subi par cette adolescente qui se détestait pour n’avoir su dire non, culpabilisait d’avoir causé des ennuis supplémentaires à sa mère, de ne pas avoir parlé ni s’être défendue, et pour cela ne souhaitait qu’une chose : mourir. Et c’est à maintes reprises et de toutes les façons possibles qu’elle tenta de se donner la mort, au point de sombrer plusieurs fois dans le coma et de nécessiter une surveillance permanente en hôpital psychiatrique. 
« - Je ne peux pas guérir de cette maladie. Elle me dévore. J’ai tellement mal dans mon cœur, à l’intérieur, partout, que je ne sais même plus où ça me fait mal…
Laisse-moi mourir maman, s’il te plaît. »
Des paroles qui laissent sans voix…

Au fil des pages nous découvrons d’autres témoignages édifiants : des victimes traumatisées et perdues ; des adolescents qui déclarent ignorer que les fellations forcées constituent un viol et utilisent des mots crus qu’ils ne devraient - à leur âge - ni connaître, ni comprendre ; des jeunes filles prêtes à pratiquer des fellations à leurs camarades de classe pour s’affirmer ou faire partie d’une bande, sans que cela les choque ; une jeune fille de douze ans qui affirme devant son père vouloir devenir actrice de film porno parce qu’elle « aime ça » ; un père qui offre un film porno comme cadeau d’anniversaire à son fils de 13 ans ; mais aussi les fausses déclarations de viols de filles qui doivent rentrer au bled pour être mariées et qui ne sont plus vierges…
Et face à cela toutes sortes de réactions, des plus humaines aux plus condamnables : des parents désemparés qui se blâment de n’avoir su protéger leur enfant de toute cette perversité ; certains qui ferment les yeux, se réfugiant derrière leur sentiment d’impuissance ; ou d’autres encore qui n’hésitent pas à banaliser les actes de violence commis par leurs chers rejetons…

L’auteur dénonce le manque d’investissement et le retard de l’Education nationale dans sa mission éducative ; des professionnels blasés qui en oublient parfois qu’ils ont face à eux des victimes en souffrance ; la négligence de nombreux parents ; ou encore la lenteur des procédures, à l’image du cas de D. où il aura fallu huit ans pour que le procès ait lieu, que la jeune fille soit reconnue comme victime et que ses agresseurs écopent de peines dérisoires…

Plus que jamais, les enfants sont en quête de valeurs affectives dont ils manquent trop souvent, de normes qui ne sont plus définies, de limites que bien des parents ne savent plus imposer. 
Il est temps d’ouvrir les yeux, de réagir, et de rendre à nos enfants l’innocence et l’insouciance dont ils ont besoin pour se construire et desquelles nous les privons de plus en plus. Pour que la sexualité ne devienne pas, à leurs yeux, synonyme de barbarie et continue à rimer avec les mots respect, liberté et amour.
Un livre poignant, instructif et bien écrit qui mérite d’être placé entre les mains de chacun de nous, pour mieux comprendre ce phénomène inquiétant, qui concerne toutes les classes sociales, avant qu’il ne nous dépasse…
 
Ados : la fin de l’innocence - Enquête sur une sexualité à la dérive
Géraldine Levasseur ( Editions Max Milo) 

Peut-on MENTIR?

Quand nos mensonges ne causent pas à notre prochain un tort appréciable, nous les amnistions facilement. Aurions-nous donc dérangé l'ordre de la justice et de la charité par quelques bouts de phrases inoffensives?

Si, au contraire, nos mensonges amènent les autres à des actions préjudiciables à leurs intérêts matériels ou moraux, cette conséquence d'injustice nous frappe et notre conscience s'en émeut.

Elle a raison de s'émouvoir, car c'est une faute de violer la justice par n'importe quel procédé, fût-ce par le mensonge. Mais elle a tort de ne point s'émouvoir plus tôt. En effet, ce n'est encore rien dire du mensonge que de le mesurer au préjudice qu'il cause. Il est antérieur à celui-ci. Il peut même exister sans lui. N'y a-t-il pas des menteurs qui perdent leur temps à vouloir nous berner? Ils ne nous causent aucun dommage et ne font tort qu'à eux-mêmes.

Le mensonge heurte plus directement la sincérité que la justice. Sa malice foncière consiste à contrefaire la vérité. Le menteur exprime au dehors, par paroles ou signes, l'envers de ce qu'il sait ou croit savoir. Au reste, il peut se leurrer lui-même : inattentif aux événements ou mal renseigné, il lui arrive de dire vrai, croyant dire faux. Qu'importe! il parle contre sa pensée ; cela suffit pour en faire un menteur.

Qu'à cette falsification volontaire s'ajoute, chez le menteur, l'intention de tromper, c'est là une conséquence psycholo­gique normale. D'ordinaire, l'on poursuit ce but, quand on se met en frais de mentir, et le mensonge y trouve son effet propre et son achèvement naturel.

Mais la fantaisie s'introduit partout, et elle peut se donner libre cours dans le maniement des mots et des signes qui forment notre langage. Ne peut-on pas se payer le luxe de propos mensongers, simplement pour amuser la galerie, sans souhaiter autrement qu'elle s'y trompe?

Le mensonge est donc, avant tout et quels que soient ses compléments accidentels, l'expression signifiée ou parlée d'une contre-vérité, ou mieux d'une contre-pensée.

 



Le mensonge est peut-être la tare la plus coutumière de nos relations sociales.

Il rencontre un excellent terrain de culture dans certaines prédispositions de tempérament, et il subit, comme tout autre acte, l'entraînement de l'habitude.

Les médecins aliénistes signalent la tendance au mensonge comme le trait spécifique de la psychologie hystérique. Captif d'une idée ou d'une imagination, incapable de beaucoup modi­fier son thème mental, le psychasthénique interprète tous les événements ambiants — actions, paroles ou gestes — en faveur de son point de vue. Et comme celui-ci alimente fréquemment une manie de la persécution, l'hystérique, par instinct de défense, riposte à toute interpellation et à toute ingérence par un soupçon de malveillance et par le mensonge.

D'ailleurs, cette même tendance se rencontre en dehors des cliniques. On sait que, lors d'un grave accident suscitant une émotion forte, chaque témoin raconte l'événement à sa manière, sans qu'il soit possible d'accorder les variantes. Or ce qui est exception dans une vie individuelle peut devenir habitude chez certains prédisposés. Outre que, parfois, la tare hystérique se rencontre insoupçonnée chez les débiles de corps ou d'esprit, nous trouvons la coutume du mensonge particu­lièrement accusée chez les émotifs. Si le propre de l'émotion est d'activer et de multiplier les fantasmagories imaginatives susceptibles de renforcer cette émotion, il est compréhensible que certains tempéraments déforment la réalité par leurs points de vue hallucinatoires : ils croient avoir vu, avoir entendu, avoir constaté, et, de bonne foi, ils affirment ce qu'ils ne savent pas ou nient les plus claires évidences ; ils grossis­sent les détails, inventent des épisodes, quand ils ne construi­sent pas de toutes pièces des événements inexistants. Mais laissons ces cas plus ou moins anormaux. L'habitude du mensonge peut se prendre, comme toute autre habitude, par la répétition des actes. Il y a des gens qui sont menteurs par définition, presque par naissance. Un vice d'éducation a faussé sur ce point leur conscience ; ou bien une vie morale, menée sans contrôle durant de longues années, acclimate en eux ce travers. N'entendons-nous pas dire par­fois à propos de quelqu'un : « C'est un menteur, il porte cela sur sa figure. » C'est exact : il existe des faces hypocrites aux regards louvoyants qui nous mettent en défiance. On connaît le dicton dépréciatif et vulgaire : « Menteur comme un arra­cheur de dents". Certains beaux parleurs farcissent leurs discours de tant de boniments, ils y entremêlent avec tant d'adresse vérités et faussetés qu'il faut bien accepter comme juste cette réflexion d'Aristote : « Les habitués du mensonge trouvent plaisir à mentir[1]. »

Mais les actes précèdent l'habitude, la façonnent peu à peu et l'enracinent. C'est donc en regardant l'intention immédiate de chaque mensonge que nous pourrons le juger moralement et apprécier sa culpabilité.

 



Le mensonge, inspiré par une intention de haine, d'envie ou de jalousie, est évidemment le plus répréhensible. Il est une forme de la rancune ou de la vengeance, un moyen de léser autrui dans son bien matériel ou moral.

La calomnie en est une première forme. Mais ce n'est point la seule. Rapporter des événements faux, donner des indica­tions erronées, porter des appréciations et des jugements contraires à la vérité, peut devenir le point de départ, chez qui s'y laisse prendre, d'une conduite désastreuse : son action est désorientée, elle s'engage en des pistes malheureuses qui aboutissent à des échecs ou à de graves ennuis.

Outre sa malice propre de contre-vérité, le mensonge s'aggrave ici de l'intention du préjudice.

Sa culpabilité se dose d'après le tort effectué, pour autant qu'il est prévu et voulu. Si, par exemple, la fausseté exprimée se rapporte à l'enseignement religieux et moral qui donne l'empreinte initiale à toute une vie, ou si elle cause au pro­chain un dommage dans sa réputation ou dans ses intérêts légi­times, il est manifeste qu'un tel mensonge—  toutes conditions de consentement et de claire vue des conséquences étant données — peut devenir une faute grave.

 



Les théologiens qualifient de pernicieux le mensonge qui porte l'intention directe de nuire. Ils le distinguent, par-là, du mensonge officieux qui, comme l'épithète le souligne, emploie ses bons offices au service du prochain ou du menteur lui-même, que celui-ci veuille procurer un avantage ou pré­server d'un mal celui en faveur duquel il ment. C'est le mensonge-excuse,  le mensonge-défense. L'enfant, menacé d'une correction, nie impunément le fait inconvenant ou délictueux qu'on lui impute. Pour hausser un ami, nous lui attribuons des mérites qu'il n'a pas et nous le déclarons innocent des fautes qu'il a commises. Nous procédons de même pour nous faire valoir ou nous disculper.

Si le mensonge prenait toute sa culpabilité du dommage causé au prochain ou de l'intention de ce dommage, du coup, le mensonge officieux serait réhabilite. Il ne serait pas une faute.

Mais tout mensonge, qu'il soit nuisible ou utile en ses effets, est constitué, en son fonds, par un dérèglement qui en fait une faute morale. Mentir, c'est contrefaire les moyens d'expression que Dieu nous a départis pour extérioriser en des jugements vrais nos pensées et nos sentiments. La vie en société, à laquelle nous sommes providentiellement astreints, ne fournit ses bienfaisants résultats que par la garantie d'une réciproque sincérité entre les hommes. Ceux qui nous fré­quentent ont un droit positif à n'être point trompés par nous; et ils doivent nous concéder la même exigence[2].

Sans doute, la bonne intention d'être utile amoindrit la faute. Au surplus, nos mensonges de défense ou d'excuse peu­vent avoir plus ou moins d'importance. Mais une faute atténuée reste cependant une faute. De même qu'il n'est pas permis de voler pour faire l'aumône, de même il ne l'est pas de recourir à un désordre illicite pour empêcher ce qui est nuisible à soi-même ou aux autres : cela n'est permis ni pour sauver la vie à un innocent, ni pour un prétendu motif religieux ou moral, ni sous aucun prétexte[3].

Faute morale, tout mensonge est encore une faute contre la charité. Tromper les autres, n'est-ce pas une manière de les haïr, tout au moins de ne pas leur donner l'amour complet qui leur est dû? Il suit de là que tout mensonge offense la charité que nous devons à Dieu ; car nous n'aimons pas Dieu si nous n'aimons pas notre prochain comme Il l'aime. Dieu, vérité absolue, ne trompe point les hommes ses enfants. En les trom­pant, comment n'offenserions-nous pas la Divine Charité ?

 



Plus que les précédents, le mensonge joyeux embarrasse le moraliste qui ne veut point laisser fléchir la règle.

Ce mensonge n'est pas inspiré par le motif de nuire, mais par celui de distraire et d'amuser. C'est une façon de jeu, une « manière de rire » dont le comique est supposé devoir être accepté.

Allons-nous donc lui tenir rigueur ? Il est si anodin ! Il a un tel air « bon enfant » ! Il badine et diffuse l'agrément, Pourquoi lui interdire de mettre un peu plus de joie parmi les hommes?

Encore ne faut-il pas confondre le badinage du discours avec le mensonge joyeux et, pour employer les mots vulgaires mais expressifs, la « blague » avec la « farce ».

La première est une fanfaronnade de phrases, une cocas­serie qui, d'elle-même, annonce ses exagérations et découvre son intention purement amusante. La contre-vérité n'est ici que dans la forme. Le « blagueur » serait fort marri qu'on le prît au sérieux et que l'on fût dupe de ses facéties.

La seconde est un petit complot dans lequel on concerte de tromper véritablement quelqu'un, en l'amenant, par exemple, à une démarche insolite et fertile en quiproquos. Malice inof­fensive en apparence et qui devient parfois offensante. Tous n'admettent pas d'en être victimes : ce qui prouve qu'elle n'est point sans reproche.

Le mensonge joyeux, si légère que puisse être sa culpabilité, demeure cependant un déguisement de la pensée, une ruse plaisante qui, même en sa manière anodine, déconcerte la sin­cérité. Et puis, la farce tourne parfois au tragique. Elle est inacceptable lorsqu'elle aboutit à la dérision inopportune de celui aux dépens duquel elle s'exerce. Au reste, le farceur se nuit à lui-même, surtout quand il est coutumier du fait. Il existe de « bons garçons » disposés aux gais propos et qui nous amusent un instant par la fertilité de leurs trouvailles ; mais leur habitude de travestissements et de pantalonnades finit par nous lasser. Ils entortillent tout ce qu'ils disent de tant d'histoires, qu'ils rencontrent, de notre part, une défiance instinctive, lorsqu'ils veulent parler sérieusement.

 



Tels sont les principes qui doivent régir notre conscience morale en ce qui regarde le mensonge et ses formes diverses.

Il est à peine besoin d'ajouter — tant c'est une évidence — que le menteur est tenu à la réparation. Nous sommes trop facilement enclins à mentir, sans nous inquiéter des suites de nos mensonges. Réparer les dommages, quels qu'ils soient, est un devoir strict, une dette de justice.

Même s'il n'a point causé de préjudice, le mensonge exige, pour l'honneur, son propre désaveu : humiliation obligée qui est la première rançon de la faute.

 

Notes et références

  1.  Eth., I.IV, ch.VII
  2.  Pour le développement de ces motifs de culpabilité de tout mensonge, voir un précédent article : Être et paraître. (Revue des Jeunes, t. XII, pp. 333-338.)
  3.  L'excuse la plus courante mise en avant par le menteur est celle-ci : il existe des cas où l'on est acculé à mentir, par exemple : devant une demande inquisitoriale trop pressante et que l'on est obligé d'éluder par le mensonge ; ou encore quand il importe de ne point peiner quelqu'un par l'annonce d'une vérité trop crue. Cette excuse est insuffisante : au lieu de mentir, on peut toujours se taire, dépister les interrogatoires ou faire entendre que certaines questions sont intempestives. Il y a un art de taire ou de doser la vérité, un art auquel la morale elle-même nous oblige. J'espère le montrer dans un prochain article : Les Prudences de la vérité