Archives 2014

Le test des 3 passoires (ou comment faire taire une rumeur) Michel Poulaert

neweralp_nfo_o_1679.jpgPersonne n’est à l’abri des rumeurs, de la médisance et de la calomnie. Souvent nourries par la jalousie, la convoitise, la vengeance, ou tout autre chose, elles peuvent nous blesser, voire détruire une vie, une réputation.

J’ai conscience que, moi aussi, je peux déranger ou qu’on me juge. Au fond, je ne peux pas plaire à tout le monde, n'est-ce pas ? Je l'accepte et puis c'est vrai : on ne peut pas plaire ou se faire aimer de tous, et c'est tant mieux, cela prouve nos diversités et cela fait toute la richesse de l'Humanité.

Tout comme vous, je ne suis pas à l’abri des ragots. En revanche, s’il y a bien une chose qui m’affecte particulièrement, c’est de voir comment une rumeur, telle une tâche d’huile, peut se disperser à grande vitesse, d’autant plus qu’aujourd’hui, à l’ère de la communication instantanée, et détruire des années de travail ou de conduite « exemplaire ». Et comme une tâche d'huile, il est difficile, voire impossible de la nettoyer complètement. Et le plus fou dans ce processus, c’est que ceux qui écoutent et intègrent ces rumeurs comme étant des « vérités », les acceptent sans aucune autre forme de procès, sans prendre la peine de vérivier la teneur de ces histoires, on se contente de penser que tout simplement parce que la personne « est digne de confiance ».
Mais que savons-nous sur les intentions de cette soit-disant personne « digne de confiance »?


Qu’est-ce qui anime les rumeurs et les avivent tels de grands feux de forêts dévastateurs ?

Oh bien sûr il existe autant de raisons qu’il y a de personnalités. Et à les entendre, il y a toujours une « bonne raison » pour détruire l’autre et se trouver des excuses pour diffuser à grande échelle une rumeur. La pire des excuses est : "je tiens à te mettre en garde contre ceci ou celà ou celui-ci".

Que faire ?
Comment agir ?

Je puise inspiration et courage dans l'une des histoires que nous est contée par Socrate qui, dans sa sagesse légendaire, avait « inventé » le test des trois passoires :

Dans la Grèce antique, nous savons tous que Socrate était doté d’une grande sagesse.
Un jour, une de ses connaissance est venu trouver le grand philosophe et lui dit :

- Sais-tu ce que je viens d’apprendre au sujet de ton ami ?

- Un instant, répondit Socrate. Avant que tu ne me racontes, j’aimerais te faire passer un test, celui des trois passoires.

- Les trois passoires ? Répliqua son interlocuteur.

- Oui, reprit Socrate. Avant de raconter toutes sortes de choses sur les autres, il est bon de prendre le temps de filtrer ce que l’on aimerait dire. C’est ce que j’appelle le test des trois passoires.

La première passoire est celle de la Vérité.

As-tu vérifié si ce que tu veux me dire est vrai ?

- Non, j’en ai seulement entendu parler…

- Très bien. Tu ne sais donc pas si c’est la vérité.
Essayons de filtrer autrement en utilisant une seconde passoire,
celle de la Bonté.

Ce que tu veux m’apprendre sur mon ami, est-ce quelque chose de bien ?

- Ah non ! Au contraire !

- Donc, continua Socrate, tu veux me raconter de mauvaises choses sur mon ami et tu n’es même pas sûr qu’elles soient vraies…

Tu peux peut-être encore passer le test, car il reste une troisième passoire, celle de l’Utilité.
Est-il utile que tu m’apprennes ce que mon ami aurait fait ?

- Non, pas vraiment… hésita l'ami.

- Alors, conclut Socrate, si ce que tu as à me raconter n’est ni vrai, ni bien, ni utile, pourquoi vouloir me le dire ?

Que dois-je ajouter de plus après une telle sagesse ?
Les rumeur… Ne les tranmettez pas, elles font tellement de mal et le comble c'est que nous en avons tous horreur et nous avons conscience de leurs effets sur notre propre vie !
A méditer et surtout… APPLIQUER !

Restons Optimiste!

Faut-il payer pour être aimé? (Armand Shneor) Psychothérapeute clinicien

Le narcissisme se cultive dès la tendre enfance !
 
Comment se sentir aimé dès lors que l’on ne s’en estime pas digne de l’être ? Le narcissisme se construit dès les premiers instants de la vie, à partir de la relation parentale.
Un petit garçon raconte un jour : ’’ David ne veut pas jouer avec moi à la récréation… »: « Ah bon, pourquoi ? répond le psy. D’une voix sanglotante, il ajoute : «Pourtant, je lui ai donné tous mes Pokémon…’’
Et le psy de rajouter : ’’Tu pensais qu’il fallait lui donner tous tes Pokémon pour qu’il ait envie de jouer avec toi ?  ‘’Ben, oui… ‘’  conclut le petit garçon !
Cette histoire aux allures attendrissantes et innocentes, préfigure des complications d’ordre psychiques en marche dès l’enfance s’étendant à l’âge adulte. C’est ainsi que quelques années plus tard, le jeune devenu adulte se sent harcelé par des questions et des affirmations du type : ‘’Pourquoi ai-je l’impression que personne ne m’aime ? Pourquoi ai-je l’impression que je ne vaux pas grand-chose ? » Ou encore ‘’Je ne vaux rien, personne ne m’aime’’…
Qu’un enfant se croit obligé de distribuer tous ses jouets à ses copains pour qu’ils aient envie de jouer avec lui n’est en effet, pas innocent. Cela dénote d’une croyance intérieure laquelle est : sa personne n’est pas suffisamment à la hauteur pour intéresser les autres. Pour être aimé il lui faut donc “payer” : en Pokémon, en services rendus…  Ce comportement n’est pas le seul apanage des enfants, les adultes distribuent à leur façon des ‘’Pokemons’’ ou rendent service pour obtenir de l’estime ou de l’amour de l’autre en retour : ‘’C’est incroyable, tous les cadeaux que je lui ai fait et les services que je lui ai rendus et au final aucune reconnaissance, à peine un merci et encore !’’
D’où vient chez ces enfants et ces adultes cette difficulté – voire cette impossibilité – à s’accorder une valeur ? Elle provient d’une faille dans ce que la théorie analytique désigne par le vocable “narcissisme”.
Le “narcissisme” dit également, l’amour de soi, le sentiment de valeur, l’image que l’on a de soi-même – est une notion souvent mal perçue parce que complexe. Elle est généralement à consonance péjorativement rappelle une forme pathologique. Rappelons au passage le mythe dont elle est issue : Narcisse, si amoureux de son image entrevue dans l’eau, qu’il en oublie l’extérieur et les autres. Si captivé par elle, qu’il se noiera en voulant la saisir.
Le terme ne recouvre cependant pas seulement l’idée d’excès. Entre penser que l’on ne vaut rien et se prendre pour le nombril du monde, il existe un juste milieu : un narcissisme que l’on peut dire “normal” et nécessaire à chacun. On ne peut vivre si l’on ne s’aime pas un tant soit peu.
Comment le narcissisme se structure-t-il ?
Au début de sa vie, l’enfant ne peut ni s’aimer ni aimer qui que ce soit, car il ne se perçoit pas  encore comme individué  c’est-à-dire comme un être “un” à part entière. Il a lui même un vécu fractionné car chaque part de de son corps est le siège de “pulsions”, de tensions sans relations entre elles : sa bouche crie, son ventre gargouille, etc. Progressivement, à l’aide du “contenant” que constituent la présence, les paroles et les soins de la mère, une première “unité” va se réaliser, rendant possible l’investissement de l’énergie libidinale qu’il porte en lui.
Et pour cela, il commence à s’attacher à sa propre personne. C’est ainsi que durant cette phase de l’existence, le bébé se perçoit comme le nombril du monde, de fait, l’extérieur n’existe pas pour lui. Il lui apparaît comme un pseudopode de son être et il est persuadé qu’il le dirige par la seule force de sa pensée. Il ressent sa mère comme une partie de son propre corps. La voyant accourir sans délai au moindre de ses appels, il est en effet persuadé qu’il a autant de pouvoir sur elle que sur sa main ou sur son pied.
Freud parlera de ‘’narcissisme primaire”, qui vaut pour tout être humain et constitue une étape cruciale dans son développement psychique. Toute distorsion à ce niveau entraînera des troubles du comportement. Le narcissisme primaire est éphémère dans la mesure où le nourrisson grandissant, sa mère espace de plus en plus les réponses à ses demandes et c’est ainsi qu’il réalise progressivement qu’elle n’est pas une part de lui, mais au contraire, elle dispose d’une existence propre. Il en déduit par conséquent, l’existence d’une réalité extérieure à lui sur laquelle sa pensée n’a pas prise.
Cette prise de conscience, permettant la mise en place du “principe de réalité” revêt toute son importance. En effet, elle favorise l’action sur la réalité extérieure, mais également le choix des objets d’amour. C’est l’époque où il commence à s’attacher à des personnes, à des objets, etc.
Sa libido, qui n’était jusque-là orientée que vers lui, se déplace et investit le monde extérieur. Mais, pour autant, l’enfant ne renonce pas à s’investir lui-même. Il continue à s’aimer. Sa libido se scinde en deux : l’une sert à s’aimer lui-même, Freud la désigne comme étant  la libido du moi, l’autre, à aimer les autres. Il l’appellera la , “libido d’objet”.
Le narcissisme secondaire
Freud entend par “narcissisme secondaire”, cet amour de soi qui succède à la découverte de la réalité extérieure. Des failles (narcissiques) à son niveau déclenchent chez un sujet un certains nombres de difficultés. Comme Freud l’enseigne, nous ne possédons qu’une quantité limitée de libido. Nous sommes donc astreints à retirer de la libido de nous-même pour aimer les autres. A contrario, si l’on s’aime exagérément, il ne nous restera que peu d’amour, voir pas du tout à transmettre aux autres.
Freud cite l’exemple de deux cas extrêmes :
• Celui de l’état amoureux, où l’objet aimé, paré de toutes les qualités, est mis sur un piédestal tel que l’amoureux ne peut en retour que s’autodéprécier. Quiconque aime est toujours, peu ou prou, dans la position du « ver de terre amoureux d’une étoile »…
• A l’inverse, celui du symptôme comme le “délire de grandeur”, qui pousse le paranoïaque à se penser comme l’incomparable génie d’un monde dévalorisé. L’équilibre entre “amour de soi” et “amour des autres” est un dosage particulièrement laborieux à établir.
Comment parvenir à cet équilibre : Parvenir à aimer l’autre tout en continuant à s’aimer soi-même ?
Bien des parents considèrent que l’enfant qui n’a pas confiance en lui est juste une question de caractère. Comme si le déficit en amour de soi, était inné. Or, il n’en est rien ! La conscience de sa valeur, la capacité à s’aimer, ne sont en rien des facultés avec lesquelles l’enfant né. L’être se construit avec l’aide précieuse de ses parents et acquiert progressivement ces capacités. Or si cette aide et mal ou peu octroyée il y a fort à parier, qu’une carence se ressentira chez l’enfant et/ou lorsque celui-ci  deviendra adulte.
Que faut-il faire pour qu’un enfant en vienne à penser de lui-même qu’il vaut quelque chose ? Il se doit être persuadé d’avoir une valeur pour ses parents. Cela n’est possible qu’à trois conditions :
La première, est qu’il ressente qu’il compte pour eux. C’est-à-dire qu’il est pris en compte par eux au titre de choses essentielles de leur vie. Cela va au-delà des mots qu’un parent peut témoigner à son enfant, mais relève de son ressenti. Ce qui fonde, chez un enfant, le sentiment de compter pour ses parents et du même coup, son narcissisme, c’est la certitude que son existence est essentielle à leur bonheur. Mais en même temps,  la façon dont ses parents manifestent qu’ils ont pour lui un projet de vie. Lorsque certains adultes, en proie à des dépressions chroniques, remontent en analyse le cours de leur vie, c’est souvent sur le constat d’un désir absent d’un ou des deux parents à leur égard, absence qui les a laissés sans appui pour soutenir leur propre désir de vie.
La seconde est qu’un enfant doit percevoir et sentir qu’il compte comme un être unique et singulier pour et par ses parents, or compter pour “un”, c’est ressentir que l’on est perçu par autrui comme une individualité même en la présence de frères et sœurs. Chacun doit se voir dans le regard de ses parents comme étant unique et différent des autres membres de la fratrie par exemple s’il en existe.
La troisième est qu’il ne suffit pas de dire à un enfant qu’il est épatant pour qu’il s’en persuade. Il faut l’accepter pour ce qu’il est et le respecter comme tel y compris dans sa sexuation, qu’il soit fille ou garçon, mais également dans son corps. L’enfant doit sentir également que son intimité et sa pudeur sont s ; que les étapes de son développement soient reconnues et admises par l’adulte. Etre encore lavé par sa mère à 8 ans, c’est être pris pour ce que l’on n’est plus, c’est-à-dire un “bébé”, et c’est dévalorisant.
Enfin, un enfant dont les désirs et les opinions ne sont que peu ou pas pris au sérieux par les parents ne peut pas penser qu’il a de la valeur, y compris lorsqu’il deviendra à son tour adulte.
A tout cela, s’ajoute ce qui relève pour l’enfant de l’identification à ses parents. Ce que sont ses parents et particulièrement l’opinion qu’ils ont d’eux-mêmes est en effet, fondamental dans la construction de sa valeur. Il est difficile de penser que l’on est un enfant “bien” si l’on a des parents qui ont une opinion réductrice d’eux-mêmes. Un parent ayant une mauvaise estime de soi, aura de fortes chances de la transmettre à ses enfants, non qu’il s’agisse d’une transmission génétique mais simplement, un adulte qui se perçoit mal aura tendance à infliger des souffrances et un regard réducteur à ses enfants.
Le narcissisme a des racines bien plus profondes qu’il n’y paraît. Il est, pour tous les humains, et quel que soit leur âge, vital pour son propre développement mais également dans son développement social.
Un bon narcissisme, offre à l’adulte, une capacité à résister à résister aux épreuves qui peuvent porter atteinte à l’image de soi, telles que les ruptures, les licenciements, incidents de la vie courante qui donnent l’impression que l’on est rejeté pas ses amis…
Qu’elles soient petites ou grandes, les blessures narcissiques nous guettent à chaque coin de notre vie. Si l’on a, dans son enfance, acquis, grâce à ses parents, le sentiment de sa valeur, on est à même de relativiser les échecs : ils restent douloureux, mais ne sont pas destructeurs.
En revanche, si l’on a été, dès son plus jeune âge, privé de ce capital narcissique, chaque rencontre avec l’autre devient l’opportunité d’une remise en cause de son auto-évalutation : «Est-ce que je vaux quelque chose ? » La personne qui se questionne ainsi induit d’ores et déjà une insuffisance de son estime de soi.
Publié Par  le May 8, 2012

 

Quand les enfants accouchent de leurs parents (Martine Fournier "Sciences Humaines")

Pourquoi tant d’enfants, devenus adultes, partent-ils à la recherche de l’histoire de leurs parents ? À l’ère de l’individu, cette quête 
du passé prend de nouvelles colorations. 
Le roman familial ne s’est jamais si bien porté.

On se représente souvent la transmission familiale comme une relation descendante dans laquelle les parents livreraient aux enfants une histoire constitutive de leur identité. Mais ne serait-ce pas plus souvent l’inverse qui se produit ? Nombreux sont ces enfants qui, devenus adultes, sont partis à la recherche de l’histoire de leurs parents. Nombreux sont ceux qui se perçoivent un jour comme des « héritiers du silence » et qui cherchent à remplir les vides d’une transmission qui ne s’est pas faite, à en comprendre les raisons, entrer dans les pans occultés de l’histoire familiale, et même partir à la découverte de ce qui s’apparente parfois à des secrets de famille… Les sociologues et les psychologues y voient un symptôme des temps actuels, une quête pour la construction de l’identité personnelle devenue essentielle dans les sociétés individualistes (1).


Certes, le roman familial, sur fond d’amour ou de haine, de culpabilité ou de honte, de bonheur et de souffrances a toujours fait les belles heures de la littérature. Mais un nouveau genre est apparu récemment. Les spécialistes les nomment des « autofictions ». Ils mêlent enquêtes, autobiographies, récits, réflexions, et offrent d’innombrables et émouvants exemples de ces individus partis à la recherche de leur passé.


Comprendre et donner du sens


Dans Le jour où mon père s’est tu (2), Virginie Linhart mène l’enquête. « Je suis la fille de Robert Linhart, fondateur du mouvement maoïste en France. Mon père est une figure marquante des années 1968. Mais, depuis 1981, après une tentative de suicide, il a choisi de se taire définitivement. » Pourquoi son père a-t-il cessé de parler lorsqu’elle avait alors 15 ans ? Pourquoi ne veut-il jamais revenir sur ses années militantes, où il connut la notoriété, relata dans un livre célèbre (L’Établi, Minuit, 1978) son expérience prolétarienne dans les usines Citroën ?


Durant ces longues années de silence, elle dit avoir été taraudée par la honte : « La honte est un héritage familial qui se transmet remarquablement bien. » En 1968, elle avait 3 ans. Lorsqu’elle devient adolescente, elle entend et reçoit de plein fouet la violence des critiques adressées à Mai 68 : une période de n’importe quoi – au minimum –, « le règne du cynisme et de l’intérêt personnel » selon certains détracteurs… Est-ce la raison pour laquelle ce père ne parle plus ? Elle décide alors de retrouver les autres rejetons des dirigeants soixante-huitards et de les interroger. Son enquête est passionnante. Ils ont pour noms Geismar, Kahn, Krivine, Lévy, Miller (Judith Miller est la fille de Jacques Lacan), Piketty ou Castro… Premier constat réconfortant, la plupart ont plutôt bien réussi leur vie et gardent de leur enfance de bons souvenirs, même si tous en pointent les aspects atypiques. « Moi, à 3 ans, je passais la nuit dans des sacs de couchage dans les festivals de rock (…). La différence fondamentale entre l’éducation que j’ai reçue et celle de mes enfants, c’est que nos parents faisaient leur vie et nous, on suivait, tandis que moi, je me plie à l’emploi du temps des enfants », confie Lamiel (fille de Blandine Barret-Kriegel). Quant à Samuel Castro, fils de l’ex-révolutionnaire Roland Castro, il résume sa jeunesse par une boutade : « J’ai un copain qui a coutume de demander : “Tu as plutôt mal à maman ou à papa ?” »

Et puis Virginie a retrouvé son père, pour un temps, tout en découvrant la maladie mentale qui expliquait son mutisme : « Je mesure désormais les avantages de son silence. » Si sa souffrance demeure, sa culpabilité, elle, a disparu.


C’est à près de 50 ans qu’Éric Fottorino, ancien patron du Monde, part à la recherche de ses origines. Après avoir rendu hommage à son père adoptif qui l’avait éduqué et aimé comme un vrai fils (3), deux ans après le suicide de celui-ci, il décide de renouer le contact avec son père biologique. Il s’appelle Maurice… Maman et toute sa vie de gynécologue-obstétricien, le docteur Maman l’a passée à accoucher des bébés ! Le seul accouchement auquel il n’a pas pu assister ni participer est celui d’Éric, puisque les parents de sa mère s’étaient opposés à l’union de leur fille avec ce Juif marocain. Questions à mon père (4) s’articule sur un émouvant dialogue avec ce père qui n’a pas vu grandir son fils, tenu à distance malgré sa volonté. Ils ont échangé des courriels, Éric lui a rendu visite. Les retrouvailles sont progressives, pleines de pudeur et d’émotion.


Il recompose le décor de l’histoire de sa famille paternelle, du grand-père Mardocchée, personnage haut en couleur resté célèbre dans la famille. « Nous avons passé toute notre vie à nous manquer… Mon nom ne contient pas une moindre parcelle du tien. Dans mon regard, tu es toujours un Juif errant et moi je demeure à jamais une erreur. Mais une erreur, cela se répare, se corrige. Je me croyais enfant du mépris et c’était une méprise. »

Éclairer les zones d’ombre du passé, reconstituer une histoire familiale trop longtemps tue, tenter de lever des doutes sur son identité… Une sorte d’autoanalyse, confie l’auteur.


Rien ne s’oppose à la nuit (5), autre véritable chef-d’œuvre littéraire, a été l’un des succès de la rentrée 2011. La romancière Delphine de Vigan est partie à la recherche des secrets de sa mère pour tenter d’en comprendre le destin. Toute son enfance, l’auteure et sa sœur ont été confrontées aux douleurs, aux angoisses, aux crises de folie de Lucile, leur maman, atteinte du trouble bipolaire. Lorsqu’elle se suicide, en 2008, la romancière décide de reconstituer sa vie en remontant à l’enfance de celle-ci. Il en ressort un récit captivant. L’enfance de Lucile (née en 1946) se passe dans une famille de huit enfants, auprès d’une mère pleine de joie et de fraîcheur (la grand-mère de l’auteure) qui adore voir son ventre s’arrondir. D’un père aussi, toujours prêt à emmener sa tribu en vacances. Au sein de cette famille débordante de vie, de gaîté et de dynamisme, surviennent pourtant des drames : deux frères décédés accidentellement, le petit dernier né trisomique, sans que cela paraisse entamer le moral de la famille. Mais au fil des recherches de D. Le Vigan auprès de ses oncles et tantes, on voit aussi se dessiner une tout autre figure du père « nocif, destructeur et humiliant », et – clé des souffrances de Lucile ? – qui tente d’abuser de ses filles. Enfant rêveuse et solitaire, d’une beauté hypnotique (à 10 ans, sa mère l’emmène poser pour des magazines de mode), à l’adolescence, Lucile se recroqueville sur elle-même alors que la famille se fissure…


Pourquoi une telle démarche de la part de la fille de « l’héroïne » si ce n’est pour percer le mystère de la mère qu’elle a portée, qu’elle a subie aussi, dans ses moments de crise, sans jamais cesser de l’aimer ? « Comme des dizaines d’auteurs avant moi, j’ai décidé d’écrire ma mère. »

Des autobiographies, on pourrait même les appeler des « biographies parentales », il en existe en effet des centaines, il en paraît de nouvelles chaque jour – Philip Roth (Patrimoine. Une histoire vraie, 1992), Paul Auster (L’Invention de la solitude, 1988), Christine Angot (L’Inceste, 1999), Amélie Nothomb (Tuer le père, 2011), Annie Ernaux (La Honte, 1996), Pierre Michon (Vies minuscules, 1984), Emmanuel Carrère (Un roman russe, 2007), Sorj Chalandon (La Légende de nos pères, 2009)…


Dans Les Rêves de mon père (6), un certain Barack Obama, non encore entré en politique, narrait dans un livre plein de tendresse et d’humanité son voyage au Kenya en 1995, pour découvrir ses racines familiales, et en savoir plus sur ce père qui n’avait existé pour lui qu’en pointillé, sorte de héros à la fois admiré et déchu dans son village et au sein de son clan.


Transmission ou archéologie ?


« C’est à partir de ce qui est faille et manque que s’organise la transmission (7) », disent les psychanalystes. Voici sans doute l’un des fils d’Ariane qui sous-tendent tous ces romans de filiation. Écrire pour savoir qui l’on est et d’où l’on vient, donner une présence à ceux dont on est issu, rétablir des vérités, rendre justice et réparer parfois une histoire parentale malmenée. Car, si ces ouvrages sont souvent issus de souffrances, voire de honte et de culpabilité, ils n’en expriment pas moins tous une forte charge de tendresse, une recherche de reconnaissance et d’amour. Ils détectent les vraies raisons de l’absence du père, ils trouvent des justifications aux défaillances maternelles…


Tous semblent vouloir remonter vers le passé pour mieux éclairer le présent et constituent une quête de sens et d’identité. L’« archéologie familiale », genre littéraire très en vogue aujourd’hui, ne devrait-elle pas prendre place dans la liste des thérapies familiales ? Deux choses sont sûres : la première est que ces publications emportent l’enthousiasme du public et certaines sont devenues de véritables best-sellers. La seconde se donne à voir sur les blogs et dans les ateliers d’écriture, où de plus en plus d’anonymes choisissent de s’y livrer.


Un phénomène qui montre en tout cas les ruses d’une transmission, à mille lieues d’un simple transfert entre générations…

 

(1) Voir Danilo Martuccelli et François de SinglyLes Sociologies de l’individu, Armand Colin, 2009, ou 
Vincent de Gaulejac, Qui est « je » ?, Seuil, 2009.

(2) Virginie LinhartLe jour où mon père s’est tu, 
Seuil, 2008.

(3) Éric FottorinoL’homme qui m’aimait tout bas, 
Gallimard, 2009.

(4) Éric FottorinoQuestions à mon père, 
Gallimard, 2010.

(5) Delphine de ViganRien ne s’oppose à la nuit, 
Lattès, 2011.

(6) Barack ObamaLes Rêves de mon père. Histoire d’un héritage en noir et blanc, Presses de la Cité, 2008.

(7) René Kaës et Haydée Faimberg (dir.), 
Transmission dans la vie psychique entre les générations, 1993, rééd. Dunod, 2003.

Etre Libre

 
Etre Libre

Etre libre, quelle belle sensation… ! Rêve ou réalité ?

Etre libre tout en tenant compte de ses obligations et devoirs.

La liberté de penser… Nos pensées nous appartiennent.

La liberté de croire…La Bible, le Coran, la Torah, ...

La liberté d’agir…En accord avec soi-même, ses idées.

La liberté de vivre comme on l’entend.

La liberté de choisir et d’entreprendre… Pour tracer son chemin.

La liberté d’exprimer ses idées.

Etre libre, c’est être bien vivant.

Cette liberté tant chérie, que certains peuples opprimés n’ont pas !

 

 

Le corps aussi se souvient

"Aborder par l'histoire personnelle les souffrances du corps. Le corps garde en lui les souvenirs enfouis de vos souffrances d'enfants, de foetus, et même parfois de celles de vos parents et de vos ancêtres. Imprimées dans les muscles, les os et jusque dans la chair, ces douleurs résonnent dans votre corps et se réveillent au fil des événements de la vie. Trouver et comprendre les racines de ce qui vous fait souffrir, vous en libérer en agissant concrètement sur le corps pour le réparer, afin de ne plus subir votre histoire."

 

 

Notre corps ne ment pas. Il dit nos troubles, nos conflits, nos souffrances. Mais celles-ci sont-elles à l’origine de la maladie ? Jusqu’où notre passé peut-il influencer notre santé ? Le point sur les liens complexes entre la mémoire du corps et celle de l’esprit.

Flavia Mazelin-Salvi

 

Myriam Brousse, thérapeute et fondatrice de L’École de mémoire cellulaire (ecoledememoirecellulaire.fr), est l’auteure avec notre collaboratrice Valérie Péronnet de Votre corps a une mémoire (Marabout, 2009).

Tombée gravement malade il y a trente ans, Myriam Brousse a développé, pour se soigner, une méthode qu’elle a appelée « mémoire cellulaire » : le patient raconte son histoire au thérapeute, qui y repère les expériences douloureuses et les note. En relaxation guidée, il revient ensuite sur ces épisodes, prend conscience des effets physiques de leur évocation et les revit émotionnellement. Délivré de leur forte charge émotionnelle, il peut ensuite remonter jusqu’à l’événement originel, celui qui a fait, selon Myriam Brousse, un « faux pli » dans son corps. Ainsi, l’une de ses patientes qui souffrait d’emphysème, au point que les médecins ne voyaient plus d’autre solution qu’une opération des poumons, a-t-elle découvert, en travaillant avec la thérapeute, que ses crises d’étouffement étaient dues au corset que sa mère portait au cinquième mois de grossesse pour la dissimuler. « Revivant la mémoire foetale au cinquième mois, elle a pu se libérer grâce aux larmes provoquées par ce ressenti physique », expose Myriam Brousse, qui conclut : « C’est ainsi que s’opère le processus de guérison dans la mémoire du corps. » Reconnue par beaucoup, discutable selon certains, cette méthode est dans tous les cas née d’un principe admis par tous : le corps est le lieu où se raconte notre histoire la plus intime. Et notre santé, physique et psychique, est toujours en lien avec elle.

“C'est psychosomatique”

Une réalité que nous résumons par l’expression « c’est psychosomatique » pour désigner aussi bien un eczéma qu’un cancer. Mais qui sait ce que cela signifie réellement ? S’agit-il de la transformation d’un conflit psychique en symptôme physique ou bien d’une maladie dont les causes seraient multiples mais dans laquelle les facteurs émotionnels joueraient un rôle important ? La médecine penche aujourd’hui majoritairement pour la seconde hypothèse. « L’humain est un système fait de différents sous-systèmes, affirme Jean- Benjamin Stora, psychanalyste et psychosomaticien. Il n’existe ni “tout psychique” ni “tout physique”. Ce que l’on sait, c’est qu’un appareil psychique bien structuré est l’équivalent d’un système immunitaire costaud : il sait bien gérer ses défenses. »

Notre esprit influence notre santé

Charcot, Freud et les autres

Le terme psychosomatique (du grecpsukhê, « esprit », et sôma, « corps ») a été introduit au cours du XIXe siècle par le psychiatre allemand Johann Christian August Heinroth, qui avait remarqué l’influence de l’esprit sur l’évolution de la maladie. Plus tard, l’étude de l’hystérie par Jean-Martin Charcot et par Sigmund Freud a établi que les conflits psychiques s’exprimaient violemment dans le corps et que, pour « soigner » celui-ci, il fallait d’abord dénouer, par la parole, le conflit dans le psychisme. Les fondements de la psychosomatique seront ensuite posés par des psychanalystes comme l’Allemand Georg Groddeck et le Hongrois Sándor Ferenczi, puis développés aux États-Unis par Franz Alexander et en France dans les années 1960 par Pierre Marty.

Pour Pierre Marty, l’un des pionniers de la psychosomatique en France, moins nous sommes dans la conscience d’un événement douloureux ou stressant (ce qui permet d’évacuer sa forte charge émotionnelle), plus son impact dans le corps sera fort. C’est ce que l’on appelle une somatisation. « Cela signifie que le souvenir de l’événement reste dans le corps et se manifeste par des symptômes physiques », détaille Sylvie Cady. Pour la psychanalyste et psychosomaticienne, toute épreuve « perturbe notre rythme corporel, basé sur le duo “tension-dépression”. Si elle se transforme en conflit ou en impasse pour le sujet, elle peut se traduire par une pathologie psychosomatique ». De la plus bénigne à la plus grave. Ce qui est certain, c’est que plus nous restons coincés psychiquement dans un épisode difficile (divorce, deuil, licenciement…) plus notre mal-être s’exprime par des symptômes physiques. Dans ce cas, pour la psychanalyse comme pour les neurosciences, l’explication est à rechercher dans notre passé. « Nous connaissons aujourd’hui l’importance de la biologie de l’attachement, souligne Roland Jouvent, professeur de psychiatrie à l’université Paris-VI. Nous savons que la qualité de nos relations d’adulte dépend de la qualité de nos premiers liens affectifs et corporels, qui ont influencé notre physiologie et notre biologie. Raison pour laquelle nous pouvons dire que nos premières expériences déterminent notre patrimoine émotionnel. Ainsi, un grand choc affectif pas ou mal assimilé dans la petite enfance peut modifier notre chimie vers une tendance à l’anxiété et à la dépression, lesquelles favorisent les maladies cardio-vasculaires. » Mais, précise Roland Jouvent, « il ne s’agit pas de déterminisme pour autant, de nombreux autres facteurs interviennent, comme la gestion actuelle des émotions, la qualité de l’environnement, le patrimoine génétique, etc. ». Cela explique pourquoi, d’un individu à l’autre, face à un même événement traumatique, la réponse sera forcément singulière. « Sur deux femmes porteuses du gène du cancer du sein, l’une développera la maladie et l’autre pas, ajoute Jean-Benjamin Stora. Nous avons décodé le génome, mais pas les interrelations entre les gènes. » Preuve, selon lui, que « la mémoire du corps, multiple et complexe, échappe à toute grille de lecture univoque »